Marion Rouxin, figure de la scène musicale rennaise, nous revient avec un quatrième album intitulé L’autre. Sa plume sensible, soulignée par des arrangements élégants, interroge l’altérité sous toutes ses facettes. Avec ce nouvel opus, Marion, la quarantaine bien dans ses baskets, gagne en confiance et en sérénité. Rencontre avec une femme patiente, tenace, énergique et amoureuse sous le regard bienveillant de son alter ego et compagnon de longue date, Édouard Leys.
Du théâtre à la chanson
Marion Rouxin est née au Mans en 1977 et développe très tôt une inclination pour les arts qui la pousse à s’initier, dès le lycée, au théâtre, à la danse (classique, jazz, contemporaine), au piano et au chant. Elle suit une formation théâtrale depuis le bac jusqu’au conservatoire de Rennes, qui lui confère une diction parfaite et un goût pour l’interprétation. En 1999, la rencontre avec la pianiste et clarinettiste Virginie Rouxel l’incite à prendre le crayon. Pour Marion, c’est le déclic : « Prendre la parole et m’exprimer avec mes propres mots a été salvateur. J’ai compris que c’est là que je voulais être. » Ensemble, elles créent le groupe Paul et Robin, où Marion est à la fois auteure, compositrice et interprète. Après le départ de Virginie, elle est accompagnée par Étienne Mézière (violoniste, arrangeur, percussionniste et compositeur) et Jean Olier (pianiste, guitariste, compositeur et chanteur). Le groupe donne une centaine de concerts et enregistre trois albums de chansons réalistes en acoustique. Mais après sept ans de collaboration artistique, Marion a envie de faire évoluer son univers musical vers des sons plus modernes. Elle rencontre alors Édouard Leys (pianiste, compositeur, arrangeur), Éric Doria (guitare, basse) et Stéphane Stanger (batterie). C’est la naissance d’un nouveau projet plus personnel, qu’elle signe de son nom. Rapidement, ils conçoivent les quatorze titres de Je t’écris qui paraît en 2007 en autoproduction : « C’est un album de transition qui tâtonne, qui cherche. Pour moi les morceaux commencent vraiment à être intéressants à partir de Légère : nous avions trouvé notre son, notre énergie, qui a abouti à Land art. »
« J’ai été bercée par Barbara, Brassens, Nougaro… Cette grande famille a été importante dans ma construction et dans mon lien au texte. » Marion avoue cependant ne pas avoir d’influence musicale à proprement parler : « La musique des autres ne constitue pas ma source d’inspiration. L’écriture arrive en fonction de ce qui m’entoure, de ce que je vis, de ce qui va me plaire, me heurter, me révolter et me toucher. Je n’ai pas de volonté de me renouveler. Ça ne s’impose pas à mon esprit en ces termes. Mes albums évoluent en même temps que moi. » Ainsi, « Je t’écris était assez mélancolique et triste. Avec Légère, j’étais dans une volonté d’action vers quelque chose de plus rebondissant et avec Land art, c’est l’apaisement et l’exploration du lien avec la nature qui domine. L’album est né suite à de grandes balades immersives et contemplatives. » Quant à L’autre, la Rennaise confie qu’il a été plus difficile à concevoir parce que confrontée à « l’effet page blanche ». « C’était difficile car je souhaitais m’exprimer sur des questions politiques, notamment sur la question de l’émigration qui me rend dingue. Mais je ne voulais pas tomber dans la chanson engagée, frontale, qui pour moi a un côté donneur de leçon, une parole culpabilisante. Je n’avais pas envie d’être dans cet endroit-là. Je voulais rester dans une parole poétique. Ouvrir des fenêtres, raconter des histoires qui vont toucher en mettant de l’amour dans ces revendications-là. Dans De l’autre bout du monde, parler de la migration par la voix de quelqu’un qui a émigré et qui parle à son amour resté au pays en lui disant “je t’attends” me paraissait plus fort que de dire : “Laissons rentrer les gens.” » Land art annonçait déjà cette thématique, mais dans ce dernier album Marion explique être à l’endroit où elle voulait être avec cette prise de parole politique. Le disque est également chargé d’une revendication féministe parce qu’à quarante ans elle assume sa féminité et se sent plus proche des femmes que par le passé. Enfin, il y est également question de l’amour et de l’enfant, « cet autre toi qui t’élève et constitue une source d’inspiration forte et inépuisable ».
La recherche musicale
Pour ce pas discographique, Marion avait des envies de renouveau, de se mettre en danger, d’aller ailleurs. Elle abandonne alors la formation de groupe et opte pour le duo. L’idée est de gagner en légèreté, en intimité, en faisant une vraie place à la voix d’Édouard, notamment dans Météo marine. Afin de s’éloigner du traditionnel piano-voix, ils multiplient les sonorités en s’accompagnant de nombreux claviers (orgues, synthé basse…), de percussions rythmiques et surtout d’un vocodeur. Celui-ci donne une tonalité électronique à l’album qui accentue le contraste avec les précédents. « Il y a la voix organique qui impulse le son (avec des respirations, des petits bruits de bouche) et l’aspect synthétique qui crée à la fois une distance et une complémentarité. » Autres nouveautés, la réalisation et la production ont été confiées à Mael Loeiz Danion, un jeune Rennais venu du reggae qui donne sa couleur à l’album, et à Yoann Buffeteau qui signe le très réussi graphisme du disque. « Nous avions envie de surprises et nous en avons eu de belles. Je suis fière de cet album par les thématiques et la façon dont j’ai réussi à les aborder, autant sur le fond que dans la forme. »
Les petites bulles
En tant qu’intermittente du spectacle, Marion multiplie les expériences en parallèle à sa carrière de chanteuse. « Ça ouvre de petites bulles qui permettent de nourrir mes différents projets. » Elle est ainsi l’auteur d’un spectacle jeunesse gourmand intitulé Sur la nappe, en duo avec le guitariste Éric Doria, et fait également partie d’un trio vocal clownesque, Les Titanic Sisters, conçu pour le théâtre de rue. Le théâtre est d’ailleurs toujours présent en filigrane dans la démarche artistique de Marion, qui porte une grande attention à l’interprétation de ses albums. Elle suit des temps de résidence longs, allant de deux semaines à un mois, pour concevoir la création scénique. Ces temps constituent, pour elle, autant d’occasions d’échanges et de rencontres avec un public varié. Ce sont des « espaces qui nourrissent » et lui permettent d’avoir les premiers retours sur le travail en cours. Elle confie même qu’un des titres de l’album est issu de deux phrases d’un texte – « Je t’écris de là-bas, de l’autre bout du monde » – qu’elle avait produit lors d’un atelier d’écriture. Perfectionniste, elle n’hésite pas à faire appel à des regards extérieurs – comme celui d’Amélie-les-crayons – pour mettre en scène ses spectacles (Légères, Land art et L’autre). « Je ne suis pas une chanteuse qui improvise. Les créations lumières tout comme les enchaînements sont écrits et construits. D’ailleurs, dès la conception d’un album, je pense déjà à la manière dont il va être interprété. Je dis souvent que je pourrais me passer de l’album mais pas de la scène. Mes chansons existent pour être transmises, pour le spectacle vivant. » Qu’on se le tienne pour dit : c’est en scène que Marion Rouxin donne sa pleine mesure.
Dora Balagny
Portrait paru dans le numéro 12 de la revue Hexagone.