Philémon Cimon : « Revenir à l’essentiel »

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Parce que retour aux sources rime souvent avec retour à soi, Philémon Cimon nous propose dans son dernier album Pays une balade à deux guitares et à quelques voix. Arborée de références cinématographiques et musicales traditionnelles, la traversée au cœur d’une enfance envolée touche autant à l’intime qu’à l’universel.

Pour son quatrième album, on attendait l’artiste québécois encore emmêlé dans des histoires d’amour mal engagées. Avec peut-être, une blonde trop jeune qui l’emmènerait toujours au cinéma ; avec sûrement, une dulcinée mal lunée qui plongerait Philémon dans le noir. Raté : « j’étais content de mes albums mais je me sentais un peu tanné, comme si j’étais arrivé au bout de quelque chose. Tout ce chemin était le fun mais je n’avais plus envie de continuer ; en tant que créateur, je trouvais que j’étais rendu à me répéter. Je me suis remis à écrire et j’avais envie de parler d’autre chose que de relations amoureuses qui tournent mal. » Alors pour se réinventer et trouver des inspirations nouvelles, Philémon, en bon trentenaire angoissé, se concentre sur l’essentiel. Et apprend à s’écouter. « J’ai arrêté de travailler avec Audiogram pour rejoindre Bounsoud car je tenais à rester propriétaire de mes albums, une chose à laquelle je tiens. J’ai aussi pris des jobs de barman ou d’accueillants d’artistes dans une vieille chapelle, en plus de cours à l’université. C’était un gros travail de repossession de moi-même, pour savoir ce que j’avais à dire en tant qu’artiste. J’avais envie de porter quelque chose sur lequel je pourrais construire. » 

Parler des autres pour parler de soi
Un an après avoir signé son contrat avec Bonsound, la maison de disque ne le suivra pas dans l’aventure de Pays et les deux parties casseront leur accord. Peu importe, la machine est lancée. Le premier déclic sur le chemin du renouveau emprunté par Philémon aura lieu quand il écrira pour une autre. Auteur des paroles et de la musique de Ca va, ça va interprété par Lou-Adriane Cassidy, il se plaît à se glisser dans une peau étrangère pour en écrire les questionnements. Dans la foulée, Philémon tombe sur des enregistrements audio de Lucile Cimon, sa grand-mère, parlant de son enfance dans les années vingt. « Elle parlait du Charlevoix de sa jeunesse et j’ai d’abord trouvé que tout ça était un peu loin de moi, mais que je pouvais essayer de m’en inspirer pour faire des chansons. » S’engage alors un franc travail de recherche pour Philémon, entre musiques traditionnelles ou films en noir et blanc de Pierre Perrault des années soixante faisant écho à une histoire dont Philémon se tenait finalement tout près : « J’avais besoin de revenir à quelque chose d’essentiel, de l’ordre des racines. Cet accès au passé m’a semblé vertigineux. C’est comme si j’avais mis la main sur un joyaux et j’ai décidé de m’inspirer de tout cela pour créer mes nouvelles chansons. » 

J’avais besoin de revenir à quelque chose d’essentiel, de l’ordre des racines. Cet accès au passé m’a semblé vertigineux. C’est comme si j’avais mis la main sur un joyaux et j’ai décidé de m’inspirer de tout cela pour créer mes nouvelles chansons.

Alors non, durant ce temps de création, Philémon ne voyage pas. Du moins, pas ailleurs qu’aux alentours de Charlevoix, mais plutôt au fond de soi. Un voyage marqué d’une escale et d’un duo réussi avec l’artiste française Pomme, Comme si j’y croyais, enregistré chez Philémon, qui finira de le convaincre que ses envies de revenir à l’essentiel lui font emprunter le bon chemin. Un « voyage hebdomadaire » selon ses mots, qui le conduira à ses plus anciens souvenirs, à ses plus anciennes sensations. Celles d’un rapport intime et vibrant à sa région. D’un paysage et d’une nature d’abord, puis à des chants de Noël, à des sons et des voix particulières ensuite. A tout ce qui fait les fondations d’un être humain, du Québec ou d’ailleurs. Reste donc à nommer tout ça.

Nommer son pays, se nommer soi-même
« Pour parler de la chanson Les pommiers envahis, je me suis rendu compte que je n’étais pas capable de nommer le pays d’où je viens et que cela me créait un malaise. Individuellement non plus je n’étais pas capable de me nommer. Je rabattais ça sur un pays au sens politique mais au fond, la question la plus importante était comment devenir souverain de moi-même. C’est un peu ça que j’ai essayé de traverser dans cette chanson. » Et c’est aussi ce qui traverse tout l’album, sur lequel s’enchaînent des musiques douces saupoudrées d’une voix d’éternel adolescent. Des morceaux où planent l’ombre affectueuse d’une grand-mère disparue il y a peu mais rendue éternelle par des enregistrements vocaux savamment distillés ici et là. Une éternité et une dignité rendues à la fois à Lucile mais aussi aux lieux qu’elle a toujours fréquentés, qui sont devenus avec le temps ceux de Philémon. A coups de guitares et d’une jolie plume, il extirpe son passé et peint le tableau d’une enfance trop vite envolée. Au point de chercher plus tard les réponses dans des relations amoureuses torturées. « Ce sentiment-là de vouloir me nommer, exister, avoir une direction, je le cherchais chez l’autre. D’où ces précédents albums où je posais des questions à une femme. »

Ce sentiment-là de vouloir me nommer, exister, avoir une direction, je le cherchais chez l’autre.

Si sa quête musicale n’a pas répondu à toutes ses questions, elle a au moins gonflé l’artiste d’un souffle nouveau : « ces recherches m’ont emmené à quelque chose de plus grand que moi et à un sentiment d’infini. D’avoir commencé par me nommer moi-même me donne envie de pousser plus loin, tout en restant ancré à ce que je suis. » De là à affirmer que Pays est l’album dont Philémon est le plus fier ? « Je pense avoir fait tous mes albums très honnêtement. Mais, si j’en avais un seul album à envoyer sur la Lune, ce serait sûrement Pays (rires). » A moins que cela ne soit le prochain, toujours dénué de toutes frontières.

Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédit Photo : Amaryllis Tremblay


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