Le festival autoproduit Pink Paradize sévit une nouvelle fois à Toulouse pour deux semaines de punk, de paillettes et de gros son. A l’intérieur de cette prog très électro-déjantée, on retrouve cette année Pigalle, venu chanter leur dernier album, Ballades en mélancolie. Chez les Productions du Possible, créateur dudit festival, on invite avant tout des « grosses personnalités ». Des artistes « décalés, que ce soit dans leur accoutrement ou dans leurs propos », comme le rapporte Mick, son fondateur. Pas la peine d’avoir une grande bouche et de crier très fort des gros mots pour monter sur la scène du pink-événement. Et rock’n roll peut aussi rimer avec humilité et textes soignés, comme c’est le cas chez Pigalle. Le groupe parisien avait donc toute sa place ce soir-là au Metronum, rempli à craquer, en grande partie par des nostalgiques des années Garçons bouchers.
On les avait déjà vus l’an passé sur la scène du Taquin toujours dans le cadre de Pink Paradize. Ce soir-là, ils ont pour mission de chauffer le Metronum avant l’arrivée de Pigalle : les Idiots, groupe acoustique pas débile, loin de là, j’en veux pour preuve leurs référence au film de Lars von Trier auquel ils ont piqué leur nom. Des chiens d’ivrogne, un hommage à Lemmy de Motorhead ( Lemmy Gaga) et des histoires d’amour et de bière, de galères, fort bien amenées par Guillaume Boutevillain, voix éraillée et barbe mal rasée, accompagné à la guitare par Mikael Garcia. S’avançant au bord de la scène, doux, posés, ils fredonnent : « Je me souviens encore de ma première femme… » et toute la salle de reprendre en chœur, avec plus d’émotions que de rage, Les enfants de Cayenne. La chanson toujours aussi fédératrice clôt impeccablement la première partie.
Les punks des années 80 se sont rasé la crête et ont amené leurs enfants, casques vissés sur la tête histoire de ne pas s’exploser les tympans comme l’ont fait leurs parents à leur âge. On croise des visages familiers, des anciens potes de comptoirs toulousains, quadras assagis mais toujours anars dans l’âme. François Hadji-Lazaro aussi a vieilli mais reste, comme nous finalement, fidèle à lui-même, à sa voix, à sa désinvolture. Et à ses bretelles jaunes. Le nouvel album de Pigalle est tout juste sorti, le public est venu pour le découvrir tout autant que pour chanter les anciens morceaux. François, lui, est là pour nous raconter une seule et même histoire, semble-t-il.
Alternant compositions récentes et des débuts, il crée des ponts entre les chansons et les années ; ponts qui paraissent, maintenant qu’on l’écoute, évidents. Si on m’avait dit (2010), désenchantement de l’enfant qui grandit et découvre que « c’était ça la vie », succède à Son Nid (2018), chronique sociale d’une femme contrainte de dormir chaque soir dans sa voiture après son travail à l’usine. Comme pour nous dire que les décennies passent mais que les choses ne changent pas vraiment. Alors bien sûr, Il te tape (2010) résonne différemment aujourd’hui. Mais les histoires finissent toujours pareil, espoirs déçus, regrets douloureux, fuite en avant sur la route des galères. Dans Trois jours de bagnole, le père devenu « un salaud » violent s’apitoie sur son sort, maintenant que sa femme est « partie avec les petites ». Dans cette vie pas tendre, on s’attache au détail d’un tatouage, un souvenir qui fait sourire, on rêve un peu naïvement à des lendemains chantants, et on va boire pour oublier qu’on n’a pas le pouvoir de changer le monde, comme Le Chaland (2000) qui attend, simplement.
Pigalle n’est pas là pour faire le show. C’est sobre, pas d’arrangement ou de mise en scène pour faire marrer le public. Les morceaux s’enchaînent rapidement, pas de commentaire à faire, pas de théâtre. Mais pas de lamentation non plus chez Pigalle, la cruauté de la vie n’empêche pas le rock -bien au contraire. Alors quand ils reprennent L’éboueur ou Il boit du café, et on saute, on chante, et si on se laissait aller à un pogo comme il y a vingt ans ?
Même le rappel est propre et humble. Pas de rock star ici. Deux morceaux en plus, dont le tube, forcément, la Salle du bar tabac de la rue des Martyrs, et on se dit à la prochaine.
Le Metronum n’a pas vraiment déridé l’ogre-Hadji-Lazaro, mais nous, on s’est pris une bonne dose de poésie rebelle populaire. On n’a plus l’âge de traîner au bar jusqu’à se faire virer, alors on reprend gentiment le métro, en espérant recroiser les copains de bringue bientôt, pour refaire le monde le temps d’un concert.