Armelle Dumoulin – Théâtre aux mains nues, Festival Les Traverses de juin, 24/06/2017
Fin de saison bien remplie pour la chanteuse-rockeuse-théâtreuse : un EP (Le Quatre) lancé lors d’un concert au FGO-Barbara ; la préparation du Festival des Fromages de Chèvre à Courzieu avec Christian Paccoud fin juillet ; les répétitions d’un nouveau spectacle théâtral dans la lignée des Magnifiques (qui mettra en scène les mots collectés auprès de personnes en fin de vie). Avant les vacances, elle a donné un dernier concert dans le cadre du Festival les Traverses de Juin, organisé par le Théâtre aux Mains Nues, spécialisé dans… la marionnette. Eté et chaleur obligent, elle s’y présentait en configuration « légère », seule avec Paul Jothy à la mini-batterie, pour un set ramassé mais rentre-dedans – treize chansons en une petite heure, rappel inclus.
Dans le détail, cela donnait : Tout ce bleu / Ta petite âme / La gueule de tes genoux /Myosotis / Gergovie / Balcons /Honneur / Petit chéri /La chute /Bien / Il pleut sur mes parents / Allons-y / T’avoir connu. Soit une majorité d’extraits du dernier album, quelques beaux souvenirs du deuxième (Les Armelles Dumoulin), une paire de nouveautés tirées du EP… et l’impasse sur les premiers opus (l’album Est-ce nous ? ou la démo 10 titres qui l’avait précédé), dont la formule accordéon/piano ne colle plus à l’humeur du moment – résolument guitaristique (*).
« Quand il fait chaud ou humide, ou les deux, je parle beaucoup – dommage collatéral » : si les chansons d’Armelle Dumoulin sont souvent brèves, elliptiques, répétitives (dans le bon sens du terme – insister pour faire entendre les multiples nuances du mot qu’on martèle), ses interventions parlées emmènent le tour-de-chant du côté d’un théâtre moderne. Loin du tout-venant « je raconte une anecdote entre deux chansonnettes », cette parole sophistiquée-absurde ou poético-punk marie les contraires, prolonge, éclaire – ou, au contraire, obscurcit à dessein, cherche quasi-systématiquement le contrepied qui titille. Le fraternel Gergovie est ainsi introduit par un récit humoristique (et légèrement inquiétant) mêlant faille spatio-temporelle et référent culturel anachronique (les « paroles gelées » de Rabelais). Allons-y, assez guilleret sur le plan musical, prend une tournure plus sinistre quand on croit deviner les histoires de famille auxquelles il renvoie. Quant au très sérieux Honneur, il est précédé d’une histoire drôle où s’entremêlent personnages historiques (Mitterrand, Jean Moulin) et jeu de mot lamentable.
Armelle joue les matamores, se cache derrière les décibels pour ne pas paraître sentimentale – mais l’émotion contenue dans une bonne chanson (« j’ai mis dix ans avant de pouvoir écrire mon amour » dit-elle pour introduire La Chute) résiste aux coups de boutoir de la fée électricité. Il lui arrive de réciter du Baudelaire pendant qu’elle se réaccorde, interrompant le poème – Chants d’automne, alors que la canicule est là, c’est rafraichissant – une fois les cordes en place. Il lui prend souvent l’envie d’entrecouper ses chansons par d’autres textes : prière incongrue au milieu de Tout ce bleu (« anomalie pleine de grâce, soyez ici je vous en prie ») ou parenthèse punk-rock électrisant Petit chéri (« Ca y est l’alcool et mon sang font Meurthe-et-Moselle / me voici petite fille de Pantagruel » !) Les rares slows parsemant le show n’y changent rien : l’énergie est définitivement plus rock que chanson. Quand il fait vraiment trop chaud, la chanteuse sort prendre l’air (la porte de la salle est restée ouverte)… avant de revenir conclure : les fins musicales « claquent », moulinet de guitare et roulement de caisse-claire synchrones.
La fusion entre la chanteuse et son batteur est impeccable : elle a toute latitude pour s’arrêter, divaguer un peu – il déploie derrière un tapis rythmique ininterrompu qui lui permet de reprendre le fil de la chanson quand elle veut. En entretien, elle nous parlait récemment des petites « battles rythmiques » sophistiquées auxquelles s’adonnent les musiciens entre eux : on se surprend à écouter/observer tous ces micro-détails d’arrangements qui font qu’une chanson d’apparence limpide est – musicalement – moins évidente qu’elle en a l’air… Si le jeu de guitare d’Armelle Dumoulin paraît simple, les rythmes créés à deux ne le sont pas : les morceaux sont truffés de mini-ponts ou couplets-refrains évolutifs (c’est particulièrement sensibles dans Le Quatre, dont certaines parties sont difficiles à reproduire à une seule voix – Il pleut sur mes parents notamment). L’attitude physique de Paul Jothy est à l’image de son jeu : discrète au premier abord, mais capable de brusques embardées si besoin. Alors qu’il semble concentré sur un point invisible (le bout de chaussure d’Armelle, une figure dans le public ?), la fixité de son regard devient presque inquiétante à la longue… Il faut se méfier des batteurs qui utilisent les balais – synonymes de fausse douceur : quand ils les font enfin claquer, ça peut être violent !
Armelle achève le concert en nage. Elle a « mouillé le maillot », raccord avec ses chansons qui parlent sang, sueur, mictions (« ta pisse sent la noisette, ça veut dire que t’aimes quelqu’un »). La chaleur y est pour beaucoup… mais aussi la façon dont elle a occupé l’espace : sautillements, poses de rockeuse – très bonne idée, ces baskets rouge qui tranchent avec le noir ambiant et mettent en valeur son joli jeu-de-jambes. Malgré la féminité soulignée par le costume de scène (décolleté, bras nus), elle a de fières allures garçonnes, un côté volontaire et baraqué – des épaules notamment – qui empêche de la traiter en petite chose fragile. Il y a une bizarrerie dans son écriture et sa façon d’être qui la distingue des filles qui ne sont « que » chanteuses… de leurs historiettes qui ne sont « que » chansons – alors qu’il y a tant d’autres choses à y mettre.
Nicolas Brulebois
(*) Le très rare Gésir dans l’herbe (paru sur EP avant le 1er album, jamais repris ailleurs) pourrait être réactivé prochainement, doté d’une nouvelle musique adaptable à cette configuration guitare-batterie.