Gérald Genty à l’Essaïon

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Gérald Genty à l’Essaïon, 02/06/2017 – et tous les vendredi/samedi jusqu’au 29/07

Il arrive grotesquement caché sous un drap noir, effet fantômatico-pathétique de film fauché. Au sol, des ustensiles qui serviront de bruitages pouêt-pouêt en cours de spectacle. Un landau branlant relié à des câbles dissimule mal un synthétiseur-jouet. Au mur, un collage doré de couronnes de galette des rois encadre une photo rapiécée de notre humble héros en compositeur Deutsch Gramophone. La première chanson (« Une fois rangé mon appartement, il a l’air dix fois plus grand ») donne le ton : en 1h30, le chanteur va transformer la petite salle en chaudron incandescent, faire de ses bouts-de-ficelle une symphonie en gags majeurs.

Après cette intro en forme d’ode au minimalisme, Genty pousse le curseur de l’économie dans le rouge : il enfile les chansons courtes (mais bonnes) de son dernier album, l’épatant Hippopopopopopopopopotame. On a déjà dit (dans le numéro d’été d’Hexagone) tout le bien qu’on pensait de ces vignettes absurdo dadaïstes balancées sur des airs pop-rock que n’auraient par reniés McCartney ou Voulzy. Il les réinvente en concert avec les moyens du bord – diverses guitares, un sampler, la complicité bon enfant des spectateurs. Si les calembours sont des pets de l’esprit (dixit Victor Hugo), alors Gérald Genty est un moteur à explosion qui change une pétrolette en bolide : les morceaux-sketchs de moins d’une minute s’enchaînent à un rythme soutenu et le public (à dominante féminine ce soir-là – bogosse oblige) commence vite à se gondoler à l’écoute des jeux de mots brillants et/ou navrants.

En concert, le chanteur offre un éclairage nouveau à des gags qui nous avaient échappés sur le disque, d’infimes nuances qui font que ces micro-chansons s’oublient moins vite qu’on aurait pu croire. A titre personnel, on a ainsi redécouvert (ou compris) ce soir-là Un discret yeah et son disque rayé, Que cela ne se reproduise plus et ses couplets de lapins forniquant dans tous les sens – et le lendemain, à la maison, les enfants ont éclairci La fac de champignons et son hermétique programme du lundi (gestion de champignons). L’absurde a ses codes, Gérald Genty nous offre quelques pistes pour le décrypter : il explique son goût pour les homophonies et paronomases, ces bouts de phrases symétriques aux sonorités proches mais dont une partie du sens s’est délité en chemin, glissant vers les chausse-trappes de l’inconscient, qui entend ce qu’il veut entendre. Quand on est écossais et « quand ton nez est cassé », Immobilier « y m’a oublié » ; ou le magistral Marais salant (mélodie sublimissime) déclinant « ça l’ennuie, nuit et jour » avec une finesse quasi poétique dont on ne se lasse pas.

Des chansons issues de ses précédents disques se mêlent à ces babioles pour allonger la sauce. On reconnaît Mon prénom c’est Gérald pas Gérard, les Quiproquos 1 & 2, Tata E.T. ou le Camping Car (sur lequel il se met à délirer en mode Autotune, comme un PNL en roue libre). Là encore, ces morceaux sont truffés de trouvailles que les réinterprétations permettent de redécouvrir : ce soir-là, par exemple, une spectatrice réentendant la chute du Quiproquo 1 (« l’espion c’est celui qui dort »), s’exclame : « j’ai le disque depuis 10 ans et je viens à peine de comprendre ! » Il joue aussi avec des chansons connues qui auraient pu être plus courtes (Fais comme l’oiseau, Voulez-vous danser grand-mère, ou – absent du disque – Mon manège à moi et son ostéo-psychopathe heureux de faire « tourner la tête » jusqu’au « crac » fatal).

En plus de ses dons d’auteur, le bougre s’avère aussi bon musicien : il sample ses parties avec virtuosité et n’abuse pas du playback… ou à bon escient comme sur le superbe Merci bocaux, peut-être le morceau le plus réussi de l’album, mini-tube à plusieurs étages fonçant comme une fusée vers l’explosion mélodique finale : là, visiblement, Gérald jubile à faire hurler sa guitare – et il y a soudain quelque chose d’émouvant (et d’un tout petit peu pathétique) à le voir jouer seul ses musiques sublimes sur une bande préenregistrée. On rêverait de l’entendre accompagné par un groupe digne de lui, que la France découvre quel incroyable compositeur se cache derrière cette bille de clown ! Mais le temps de formuler en pensée ce regret, il est déjà passé à autre chose : le voici nous expliquant – justement – la recette du tube sur un clavinet faussement funky (mais vraiment ridicule), ou samplant les bruits de la ferme à l’aide de boîtes-à-meuh et autres accessoires peuplant son monde dérisoire et pourtant si touchant.

Le public – clairsemé mais complice – est aux anges. Quand le chanteur salue, il est en nage. Le concert porte ses fruits : rentré à la maison, on réécoute le disque pour retrouver les choses appréciées en live. Dans la foulée, le lendemain, les enfants se l’approprient et se repassent ad nauseam leurs morceaux préférés – à peu près tout l’album. Ils sont le public le plus exigeant : si les petits l’ont élu, c’est que Gérald Genty est un grand. Allez vérifier par vous-mêmes…

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