Concèze, jour 5. P’oasis

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Photo David Desreumaux - Reproduction et utilisation interdites sans l'autorisation de l'auteur

P’oasis. La cinquième soirée du Festival Déc’OUVRIR de Concèze s’est achevée et me revient en mémoire ce poème de Robert Desnos, tiré du recueil Corps et biens. « Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux. Soeur Anne, ma Sainte Anne, ne vois-tu rien venir… vers Sainte-Anne? Je vois les pensées odorer les mots. Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux. De nous naissent les pensées. »

Depuis l’origine du festival Matthias Vincenot a pris le pari de mêler chanson et poésie. Hier soir, peut-être davantage que n’importe quel autre soir, le public venu en large nombre a pu sentir à quel point poésie et chanson ne sont pas cousines mais soeurs. La poésie, cette fleur du mal, pour le dire comme l’autre génie. Je ne saurais dire si c’est l’humanité qui prend racine dans la poésie, ou bien l’inverse, mais ce que je sais, c’est que sans poésie la vie serait laide et invivable. Elle est ouverture sur le monde, main tendue vers l’autre, résilience parfois quand trop de saloperies dans le monde nous rendent sourds. Quelle belle soirée hier ! Et quelle ouverture par la poète belge Colette Nys-Mazure. Les mots justes, les mots simples, une didactique de l’existence entrecoupée par les respirations de l’accordéon d’Etienne Champollion. On est là, médusé, happé par la sagesse de cette dame dont on lit le vécu dans les sinuosités du visage. Elle dit son entrée en poésie lorsque fort jeune, ses parents ont la sale idée de disparaitre, la laissant, elle, sa soeur et son frère seuls face à la vie. La poésie devient son refuge. Le refuge et la force de tout une vie. Une leçon bouleversante.

Soirée thématique laissé-je entendre ? Oui, Hexagonaute ! La suite sera du même tonneau. C’est Emilie Marsh qui prend la suite de Colette Nys-Mazure sur scène. En formation complète, avec Etienne Champollion aux claviers (toujours lui, oui !) et Mathieu Chrétien à la batterie. Ca tape fort et dru sur les intrus, la guitare d’Emilie envoie des riffs tantôt rageurs, tantôt suaves. Sa voix, parfaite, juste belle chaude et parfaite, vient dire le fond de sa pensée. Quelque part entre Virginia Woolf et Patti Smith, chez Emilie Marsh, on n’appelle pas un chien un chien mais – comme le réclamait Paul Valéry – l’on va chercher l’effort au dire. La poésie d’Emilie peut prendre des formes bien différentes, jouer sur les images et nous renvoyer à notre imaginaire comme sur Briques ou alors être plus frontale et directe pour affirmer sa féminité à l’instar d’Antisensuelle mais jamais elle ne laisse indifférent.

Vient le tour de Buridane. Dans un autre registre, dans une autre forme de chanson mais avec le même sens de l’exigence et de la belle ouvrage. La poétique est différente. Buridane, comme une Montaigne de la chanson, introduit le doute et le scepticisme au centre de son oeuvre. Le questionnement systématique mêlé à l’interprétation de tous les possibles d’une situation. « Je sais que je ne sais pas » disait Montaigne. La formule colle comme un gant à la jeune lyonnaise. Le tout emballé dans de soyeux écrins mélodiques, distillés à la guitare folk. Maniant les entre-chansons avec beaucoup d’aisance et de spontanéité, Buridane a montré hier qu’elle était une artiste accomplie, maîtrisant aussi bien l’humour que les ressorts psychanalytiques propres à la chanson. Une artiste des plus agréables à voir et à entendre, qui donne autant à réfléchir qu’elle dispense de plaisir.

Le clou de la soirée revenait à celui que l’on peut considérer comme la grande vedette de l’édition 2016 : Hervé Vilard. Il a fallu ajouter quelques dizaines de bancs pour accueillir l’ensemble du public qui s’était déplacé en très grand nombre. Et encore, tout le monde ne tenait pas dans la salle, alors on a étendu l’assistance en extérieur. Hervé, c’est une star. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas ; même s’il l’a chantée hier soir, Capri, c’est fini. Aujourd’hui, Hervé Vilard veut offrir les chansons qu’il aime, veut dire son amours des poètes et de la langue française. On mentirait à dire qu’Hervé Vilard est un grand interprète mais la sincérité de son engagement, le plaisir évident qu’il prend à chanter Trenet, Leprest, Béart, Fanon ou Gainsbourg montre un artiste touchant, élégant. Fort aimable, doté d’un sens de l’humour qui n’est pas pour nous déplaire. Je te fais cet aveu Hexagonaute : j’ai toujours eu un faible pour la variété kitch d’Hervé Vilard parce qu’elle me rappelle mes tendres et jeunes années. Aujourd’hui, j’aime Hervé Vilard parce que je sais que l’on a une passion commune, forte et indéfectible. Une passion, comme un espéranto en commun aux artistes de la soirée : la poésie.


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Hervé Vilard

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