Mettre au monde cette étoile qui danse
Mon enfance.
« Je suis née le 8 décembre 1984. Le jour de l’immaculée conception » raconte avec un large sourire Lise Martin. Le genre de hasard du calendrier que sa grand-mère regardait avec bonheur, confie-t-elle. Tout commence dans l’Allier, dans la commune de Saint-Menoux. Jusque-là, que du banal mais le banal tombe quand je t’apprends que Lise voit le jour à la maison. Au foyer. Genre à l’ancienne parce que ses parents « étaient un peu des hippies. » Devancée d’un an par sa sœur Soizic, Lise arrive en numéro 2 dans une famille de cinq mouflets. Quatre filles et un garçon. Il devait y avoir bien de l’occupation dans cette maison non loin de Vichy et de Moulins.
Prof d’allemand, la mère de Lise est d’origine vendéenne alors que son père normand a exercé mille métiers dont celui de boulanger. C’est donc tout naturellement qu’ils vont se rencontrer en Allemagne avant de s’installer à Saint-Menoux dans le but de se rapprocher de l’école Steiner de la région. Ils ont la ferme intention d’apporter à leurs enfants l’éducation rêvée qu’ils n’ont pas reçue. L’école Steiner propose « une scolarité un peu particulière avec une pédagogie alternative qui essaie de développer autant le côté manuel qu’intellectuel de l’enfant. On y mêle la lecture, l’écriture, le modelage, le tricot, la peinture, etc » explique Lise. Lise y mène une scolarité normale et, peu enjouée à l’idée de faire l’équivalent de ses Première et Terminale dans un internat à Montluçon, rejoint sa soeur à Chatou, en région parisienne. Là, en même temps que son indépendance, elle obtient son bac en 2003 et entame des études de cinéma à la fac de Censier. Etudes qui seront sanctionnées d’une licence. Durant ces années estudiantines, le prix de l’indépendance se paie à coups de petits jobs, t’imagines bien.
Les arts, au sens large, tiennent une place d’importance dans la formation Steiner. Lise Martin a grandi dans cette culture, comme dans un environnement naturel. Elle a beaucoup tatônné avant de choisir la chanson comme forme d’expression professionnelle. « J’ai toujours beaucoup dessiné et peint. C’est ce que je voulais faire au départ. Avec le dessin et les mots, on reproduit ce que l’on voit. Ce n’est pas si éloigné. Dessiner c’est apprendre à regarder, faire de la musique, c’est apprendre à écouter. Chanter c’est apprendre à parler. Le théâtre est une grande passion chez moi aussi. Mais c’est comme une histoire d’amour frustrée. Le théâtre représente, comme en chanson, le rapport au présent. » précise-t-elle.
Je chante.
Au-delà des arts en général, la chanson aura peut-être été l’art de proximité chez les Martin. Le pont des arts. Lise se souvient que « la musique, la chanson a toujours eu une place importante à la fois à la maison mais aussi à l’école. Ma mère nous a toujours chanté des chansons pour nous endormir le soir. Elle a même inventé une chanson lorsque mon frère était bébé. Je crois que c’est la première fois que j’ai vu en direct le processus de création d’une chanson. » Son père, tu sais, l’homme aux mille métiers, jouait également de la guitare et chantait. Des classiques de la chanson française. Les Brassens, Le Forestier et autre Mon pote le gitan, dans lequel, peut-être, voyait-il un autoportrait. D’ailleurs, c’est ce père qui apprend à Lise son premier morceau à la guitare. Ca ne folke pas encore à mort mais elle exerce son groove avec Sur le pont du Nord. Il faut un début.
Malgré son envie, pour ne pas faire comme sa soeur aînée qui a débuté l’apprentissage du piano, Lise Martin s’oriente à 7 ans vers l’étude du violon. Sa relation à l’instrument est assez conflictuelle et – patatras ! – Lise découvre dans le même temps que le chant lui procure beaucoup plus de plaisir que le violon. C’est sa marraine qui lui enseigne l’instrument, elle n’ose pas dire que ça la saoule. Du coup, comme enchristée, elle prend dix ans au violon : 5 ans de violon, 5 ans d’alto. Elle arrête lorsqu’elle monte à Chatou rejoindre sa soeur.
Elles s’appelaient Fées d’Hiver.
C’est à Chatou que la première expérience en chanson va s’écrire. Avec Soizic, on va y revenir. Avant ça, bien sûr, il y a eu quelques velléités adolescentes, mais comme le raconte Lise, celle-ci semble à cette époque coincée entre complexe et quête personnelle. « J’ai commencé à écrire autour de 12 / 13 ans mais c’était hyper cul-cul. Je n’osais pas le montrer. Il y a avait une espèce de rivalité avec ma soeur aînée, Soizic, qui écrivait des nouvelles et des poèmes. Elle écrivait d’une manière très poétique, très belle. Moi, c’était moins onirique, plus terre à terre et du coup j’étais très complexée. Je ne montrais à personne sauf à ma petite soeur qui me disait que c’était bien. » Lise commencera à prendre confiance en elle, à montrer ses essais, suite à la présentation de son travail de fin de cycle (appelé Chef d’Oeuvre dans les écoles Steiner). Un court-métrage dans lequel elle utilise deux de ses poèmes et dans lequel elle chante une chanson de Barbara.
Son bac en poche, Lise Martin part en voyage humanitaire en Inde durant un mois et demi. Voyage durant lequel elle écrit beaucoup. A son retour, Soizic lui fait écouter un poème qu’elle a mis en musique et Lise y pose une deuxième voix. C’est leur première chanson. Lise et Soizic viennent de créer leur groupe, Les Fées d’Hiver. « Après ça, j’ai eu envie d’essayer aussi, je n’ai pas réussi à le faire sur un de mes textes mais j’ai adapté 3 poèmes du poète Jacques Gaucheron que j’ai fusionnés et qui ont donné notre deuxième chanson. Et j’ai continué. » se souvient Lise avant de poursuivre et se rappeler que « la toute première chanson que j’ai écrite, paroles et musique, c’était Ce n’est que moi que je chante encore. » Cette première chanson de Soizic produit comme un déclic chez les deux soeurs. Elles vont écrire, chacune, indifféremment. Et sur les chansons de l’une, l’autre vient poser une seconde voix.
A cette époque pas si lointaine, peu de filles (peut-être les Face à la Mer) osent affronter le public des bars. Ce n’était pas banal en 2003. C’est Nicolas Joseph qui propulse Les Fées d’Hiver sur les scènes des bistrots parisiens. Il les invite régulièrement lors de ses concerts à venir chanter leurs deux titres. Puis, petit à petit, le répertoire s’étoffe et Les Fées vont faire quelques premières parties et leurs propres concerts. En un an et demi, les filles vont écluser pas mal de scènes parisiennes mais Soizic décide d’arrêter pour cause d’amour à suivre. Fin de saison pour Les Fées d’Hiver. Les fées meurent, éphémères, ne laissant aucun enregistrement derrière elles.
Repartir à zéro.
Lise Martin ne va pas remonter sur les planches tout de suite. Soizic a quitté Paris et Lise avoue qu’elle n’osait pas aller chanter toute seule avec sa guitare dans les bars. C’est à nouveau Nicolas Joseph qui va lui remettre le pied à l’étrier en lui proposant de l’accompagner à l’accordéon, en 2007. « Donc j’ai repris avec lui, puis un guitariste (Nicolas Métro) s’est greffé, puis une violoncelliste (Camille Ablard) » ajoute-t-elle en précisant que son répertoire se constitue alors pour l’essentiel des titres dont elle était l’auteure au sein des Fées d’Hiver. De nouveaux morceaux vont venir enrichir progressivement le répertoire jusqu’au jour où le support discographique devient indispensable. C’est un moment charnière dans le projet Lise Martin.
« J’étais passionnée de cinéma depuis assez jeune. Je n’arrivais pas à me dire que je voulais être chanteuse. Je trouvais ça très prétentieux. Ensuite, c’est un peu le hasard qui m’a mené vers la chanson. Je faisais mon école de théâtre, la fac de ciné, mais je n’arrivais pas à m’avouer que je voulais faire de la chanson mon métier. Je pense que le déclic a été l’enregistrement de Gare des Silences, en 2009 / 2010. » constate aujourd’hui Lise Martin. Ce premier EP de sept titres est enregistré par un ami ingénieur du son, Christophe Hammarstrand, dans les studios de Nova Prod où il bosse. Faute de gros moyens, les sessions ont lieu la nuit, avec l’autorisation des studios. Sur ce premier opus, Lise Martin fait le choix de retenir les morceaux les plus prisés de son public, les morceaux dont on lui parle le plus et dont les arrangements sont prêts. Sept titres liminaires d’une carrière qui ne sonnent en rien comme des oeuvres de jeunesse. L’écriture de Lise Martin, son sens de la mélodie font plus qu’affleurer sur cet exercice sonore où l’on retrouve Tes mots, Le tourbillon et Liberté, notamment, que Lise chante encore régulièrement sur scène.
Riche de cette première expérience discographique « troublante », Lise Martin va beaucoup écrire entre 2010 et 2013. De nombreuses chansons voient le jour, sont rodées en concert, et la matière à discographier est devenue plus que suffisante. Le nouveau double album, Déments songes, entre donc en phase de création. Dans l’intervalle, le groupe a évolué, à grand renfort de cordes. Florence Breteau est arrivée au violon et Francis Grabish ne se retrouve pas à toutes les sauces mais au violoncelle. Cyril Aubert est toujours présent à la guitare et c’est Luc Ginieis qui tient la batterie. Christophe Hammarstrand étant indisponible au moment de l’enregistrement en 2013, c’est une de ses bonnes connaissances qui assure la réalisation, en la personne de Sébastien Miglianico. « Je partais avec l’idée de faire un simple album. Suite à une discussion avec un ami, l’idée du double thématique s’est imposée. J’avais, au départ, élaboré l’idée de l’album Déments songes qui parlait davantage de la vie et ses interrogations. Le suivant aurait gravité autour des interrogations sur l’amour. Cet ami avait raison, ça avait du sens de faire un double album avec des chansons qui avaient vécu et existé en même temps plutôt que de les séparer et de sortir un autre disque dans deux ans. Presque hors contexte. » justifie Lise Martin à propos du format – hors du commun en 2014 – de double album. Puis elle poursuit en expliquant que Déments songes veut à la fois signifier les rêves fous, l’idéal dans son assertion positive mais qui peut aussi se perdre dans des illusions plus limitantes. « Alors que l’idéal est censé porter vers l’avant, les illusions limitent et bloquent » précise Lise.
Création permanente.
Lise Martin n’est pas une artiste qui conçoit son art comme une marchandise nécessaire à un instant T, histoire de relancer la machine à programmateurs. En création permanente, elle écrit régulièrement, au gré de ses questionnements, de ses tentatives de compréhension de l’humaine condition. Le prochain album est déjà sur le métier à tisser. Elle est en train d’en terminer les morceaux (début 2016). Contrairement au précédent, les chansons retenues n’auront pas été rodées en live auparavant et le nouvel album devrait ainsi sortir en même temps que le nouveau spectacle. « J’aimerais bosser les arrangements jusqu’à cet été, enregistrer en septembre et sortir l’album au printemps 2017. » précise Lise Martin. Un album sur lequel le guitare voix et le ukulélé pourraient avoir une place prépondérante. Et Lise de nous renseigner quant à l’écriture : « je teste d’autres pistes. Je reste très exigeante mais je m’autorise davantage de libertés ; je donne toujours plus de liberté au texte qu’à la musique mais là j’explore également d’autres choses musicalement. Ca me semble prendre un chemin différent mais ça reste dans la continuité. Ca devrait être encore plus du Lise Martin. »
Définir l’écriture de Lise Martin. Joli défi. On pourrait parler comme un journaliste pressé et mal inspiré et dire que la plume de Lise est ciselée. Comme on dit pour à peu près tous les auteurs tant et si bien qu’on finit par ne plus savoir ce que cela signifie vraiment. Les textes de Lise Martin sont au confluent de multiples matières. La peinture, la littérature, la poésie, la philosophie, la psychanalyse. Au carrefour des sciences humaines. Tout cela pour ne tendre que vers un unique but : avancer. Avancer dans la vie, c’est s’interroger sur soi-même, c’est se lire en se mettant en danger, en dépassant ses zones de confort. La chanson est un vecteur de questionnement chez cette chanteuse – chose peu banale – qui cite Nietzsche, « Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante, » avant de développer sa propre pensée : « Quand j’écris, c’est que quelque chose me pose question. Je pose mes interrogations dans le déroulé de la chanson et quand j’arrive à la conclusion, c’est une piste possible. Il n’y a bien sûr pas de réponse définitive. Je chante pour faire taire le silence car je ne l’interprète pas favorablement. J’ai besoin de le comprendre. Le chaos en moi peut être très violent et l’écriture m’aide à mettre au monde l’étoile dont parle Nietzsche. Le chant adoucit tous les maux et le silence. » Ce silence à faire taire que l’on trouve en étendard dès le premier opus, mis en question, presque convoqué en duel dans son jeu de mots équivoque. (Gare des Silences / Garder Silence)
Jeu sur le mot en mode lacanien sur le second opus également. Coup double de surcroît : Déments songes où la vérité est passée au Pentothal, sérum de vérité ; Par don où l’amour montre ses chausse-trappes. Lise de donner son éclairage : « Déments songes, c’est pour démêler les rêves à garder des illusions. Chaque chanson est une tentative pour savoir à quoi je m’attache et de quoi je dois me défaire pour avancer. C’est pour ça que c’est séparé. Déments songes, les questions pour avancer dans la vie. Par don, c’est les illusions que l’on peut avoir au départ sur l’amour et qui vont se casser au fur et à mesure. Par don exprime le fait de vouloir donner et s’excuser aussi parce que quelquefois on donne avec beaucoup de bonnes intentions et si les intentions sont très positives, le résultat ne l’est pas forcément. » L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on…
Folk à mort.
S’instruire de son quotidien pour toucher son prochain, pour éclairer sa propre vie. C’est en quelques mots, en partie, la sphère de la chanson folk traditionnelle. Pour beaucoup nourrie à la mamelle de Joan Baez, formée à la guitare par une chanteuse de folk anglaise, Lise Martin trempe son ancre (et son encre) volontiers dans ces eaux-là (Pas comme Emile). Corps et bien, pour le dire à la Robert Desnos qui parmi autres Baudelaire, Henri Michaux, Aragon et Hugo constituent le socle patrimonial du langage esthétique de Lise. De la folk, certes, mais de la folk poétique, assise sur un fonds intemporel. Pour cette ACI qui se sent auteure prioritairement, « la poésie permet de dire des choses qu’aucun autre langage n’arrive à dire. J’ai lu et je lis encore beaucoup de poésie. Certaines images poétiques m’ont apporté plus qu’un bouquin de philo, par exemple. Les dialogues que j’ai avec la poésie vont où aucun dialogue ne va jamais. » Poésie, images, dialogue, tout cela ne signifie pas vision éthérée, égocentrée. L’ambition est plus large, plus noble dans le désir de « faire des chansons qui pourraient être utiles à quelque chose. Quand quelque chose me touche, m’interroge, j’essaie de le développer, de le comprendre et de partager le fruit de mon expérience, de mes pistes de recherche. » exprime Lise Martin avant de dévoiler que l’« un des objectifs dans ma vie, c’est de cerner les peurs qui me limitent, de les regarder en face et de trouver un moyen de les dépasser. Les pistes que je donne dans mes chansons, c’est un peu ça. C’est pour ça qu’un sujet en chanson peut être traité d’innombrables fois tant il y a de pistes possibles. »
Les chansons de Lise Martin portent les atours de l’intemporalité. Elles nous appellent à considérer la relativité du temps. Ne pas chercher à s’amarrer à un courant ambiant, rejeter à dessein les phénomènes de mode, c’est l’axe de création de la Ménulphienne. C’est parce que l’intemporalité permet à un large public de s’y retrouver que Lise cherche dans son « choix de mots à gommer volontairement tout ce qui marquerait trop l’époque, tout ce qui pourrait rendre les chansons trop vite obsolètes. » Une intemporalité qui permet d’accéder à ce qui relie les gens entre eux, d’époque en époque et participe de la confection de chansons plus durables, moins jetables. L’intemporalité serait-elle l’écologie de la chanson ?
Voix de Fée.
Pourrait-on clore ce portrait sans évoquer la voix de Lise Martin ? Une voix profonde qui funambule sur l’émotion. Un voix colère qui éteint les silences. Une voix qui dessine et se réapproprie des espaces de libertés. Une voix amie qui libère les peurs et les fausses croyances. Une voix magnétique qui n’est pas étrangère aux nombreux tremplins remportés depuis le début de sa jeune carrière. Vive la Reprise notamment, en 2013, organisé par le Centre de la Chanson. Et le Grand Zébrock, autre déclencheur, qu’elle n’a pas remporté mais dont elle a accédé à la finale. Finale lui permettant de bénéficier de 6 mois d’accompagnement et d’y faire la rencontre déterminante de Françoise Fognini qui est devenue sa coach scénique.
La scène tiens, parlons-en. Elle y a promené tout un tas de formules Lise Martin. Avec Soizic et Les Fées d’Hiver au tout début. Puis, les formules du vrai départ solo, formules de hasards, avec l’accordéon de Nicolas Joseph, la guitare de Nicolas Métro. Puis, quand l’envie de grandir artistiquement s’installe, il se met à pleuvoir des cordes sur les concerts de Lise. Violon, contrebasse, violoncelle viennent nourrir les portées de leurs notes bien pesées. Quand lieux et budgets se font trop petits, c’est avec Cyril Aubert à la guitare que la chanteuse se montre en duo et précise que « c’est enrichissant de pouvoir changer de formule et d’éviter la routine. Etre en danger, ça met dans le présent, ça crée l’inquiétude et je suis vraiment présente. C’est ça la scène, c’est être présent. S’il est quelque part, le bonheur est dans le présent. » Depuis peu, voilà même qu’elle ose monter seule en scène. Ce qu’elle ne s’était pas encore autorisé. Avec sa guitare, avec son fidèle ukulélé. Et puis sa voix, cette voix comme un appel envoûtant dans un chef d’oeuvre de Joseph Conrad, tu sais. Lise Martin, un autre présent qui met au monde des étoiles qui dansent.
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