Clément Bertrand, la peau est bleue comme une orange

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Photo David Desreumaux

Clément Bertrand est bâti comme une montagne mais il habite à la mer. Il crèche sur l’ile d’Yeu, à quelques brasses de Nantes où il a vu le jour il y a plusieurs années. L’animal se fait plutôt rare à Paname et quand il y fait une montée sauvage et nocturne, on serait bien ingrats et couillons de rester planqués dans nos chaumières. Le 22 mai dernier, il se faisait un Limonaire en compagnie de ses deux acolytes à la guitare et à la batterie.

Photo David Desreumaux
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Tournant ces dernières années avec une formule piano – voix, Clément Bertrand venait remplir les mirettes de l’assemblée avec son nouveau spectacle, intitulé Peau Bleue. Peau Bleue comme le nom de ces habitants de l’ile d’Yeu, par exemple, au rang des explications d’un nom qui puise ses références à différentes sources et dont le parfait Bertrand Belin est à l’origine. On n’en dira pas plus et on laissera la légende grandir autour de ce nom. A la formule acoustique du piano-voix, Bertrand apporte le pendant avec un trio électrique. Une Les Paul, une Telecaster, une batterie. Et Clément. Bien serrés, bien compacts sur cette petite scène du Limonaire.

Photo David Desreumaux
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Tu l’as pigé, ce nouveau spectacle fait la part belle aux morceaux qui paraitront sur l’album en septembre prochain et dont on a découvert Montparnasse, Les seins de ma mère, Fleurs naturelles et Le déménagement sur l’EP paru en janvier dernier. Il nous avait fallu un moment pour nous remettre de l’électro-choc ressenti à l’écoute de l’objet. Avec Romain Dudek à la réalisation, la facture brute et granitée de la production vient s’ajuster comme une évidence avec les textes râpeux du Clément Bertrand originel, comme dirait Elie Guillou avec qui il a créé, en 2013, le spectacle Comme on entend la mer. Ces textes que j’évoquais, il faut s’y arrêter. Même pas peur des comparaisons. Clément Bertrand, c’est Leprest et Lantoine qui porteraient un Perfecto en gros. Ici, on fait table rase du costume traditionnel de la chanson littéraire et on la ressape sur fond d’ampli Vox, de Gibson et de Fender. Ca paraît rien comme ça, presque anecdotique à signaler mais l’on y voit comme une perspective encourageante. Celle d’admettre que le texte de belle facture en français et le rock peuvent faire alliance en sonnant juste. Avec Clément Bertrand, finie la Guerre de Cent ans, on dépasse l’entente cordiale. C’est l’armistice à l’hémistiche.

Photo David Desreumaux
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Alors, ça cause de quoi une chanson de Clément Bertrand tu te demandes ? Ca dépend. Il est question d’histoires d’amour, de relations, de femmes, d’hommes, de mort. La belle histoire tu te dis, t’as pas tort, les thèmes au tableau de chasse de Clément ne révolutionnent pas le genre. D’ailleurs qui les révolutionnera jamais ? Sa façon de les traiter ces thèmes, les angles choisis par le bonhomme sont bien plus charnus, inattendus, osés, donnent à saliver autour de la belle langue. Ainsi, quand il parle du désir qu’une femme aux seins nus sur la plage peut procurer, c’est sa propre mère qu’il met en scène (Les seins de ma mère). Point de vue du gosse qui rivalise alors avec « les mecs qui la matent avec un regard un peu limite, » les singe en « mettant sur son zob du varech qu’on croit du poil à la bite. » Quand il parle de sa compagne, l’histoire d’amour raconte un épisode masturbatoire (Toucher). « Lorsque son mec est parti / Mon amoureuse se touche / Elle se bat contre la nuit / Et c’est le jour qui la couche / Y a que les cons que ça rend sourds / Elle ici et moi si loin / En soupirant mon amour / Elle a joui on s’est rejoints. » Quand sa soeur lui annonce qu’elle va partir vivre au Québec – et que touché-perdu-déçu – il lui lâche un « et bien casse-toi connasse, » il lui écrit quelques jours plus tard une lettre-chanson d’excuse qu’il intitule Branleuse. « C’est pas si simple / Et les baroudeurs le diront / De voyager léger / Quand on a le coeur lourd / J’espère au moins là-bas / Qu’un gentil bûcheron / De son accent tranchant / T’a tombé en amour / Ce truc à rendre aveugle / Où tu jouais les bigleuses / Branleuse. »  Quand il parle de la mort, il s’arrête un temps sur les coutumes locales. L’annonce d’un macchabée tout neuf avec son affiche qu’on épingle à la fenêtre du bistrot. C’est sur Fleurs Naturelles et c’est de haute facture. La mort d’un autre, c’est le réveil d’une peur, d’une crainte, c’est la hantise de l’arrêt du sablier, la projection de sa mort à soi-même. Et chacun derrière le zinc de se dire « un habitué de plus en moins, » de se questionner sur l’identité du prochain.

Photo David Desreumaux
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La poétique de Clément repose sur le contournement d’expressions populaires, sur l’introduction de l’oral dans une versification à l’architecture solide. Sur la création, l’invention d’images détonantes. Tu l’as compris, Clément Bertrand s’inspire pas mal de ses expériences du quotidien pour faire des chansons. Mais là où quantité d’artistes vont utiliser ce même bagage personnel qu’ils vont polir pour le rendre dicible ou chantable au plus grand nombre, Clément lui, ce bagage, il le passe dans sa machine à cabosser, le malmène, lui met quelques méchants coups de râpe ici ou là pour le colorer et augmenter sa réalité pour mieux servir sa voix rauque et grave, brute et percutante. Ce qui intéresse Clément Bertrand, c’est le relief, la rugosité, le vécu, les taches. La vie quoi. La peau est bleue comme une orange pourrait-on dire pour paraphraser Eluard.


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