Marie Modiano, « la scène est une récompense »

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Photo Flavie Girbal

C’est dans le cadre du FestiVal de Marne, en octobre dernier, que nous avons eu le plaisir de rencontrer Marie Modiano. L’occasion pour nous de faire plus ample connaissance avec cette artiste aussi talentueuse que discrète, qui partage sa vie entre la France et la Suède de son compagnon (non moins talentueux) Peter Van Poehl. Marie Modiano se raconte simplement, depuis ses études d’art dramatique à la Royal Academy de Londres jusqu’à la création de son label Nest & Sound.

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Hexagone : Tu as fait des études d’art dramatique à Londres. Peux-tu expliquer ce choix et comment en es-tu venu à la chanson ?
Marie Modiano : Ça a été un parcours à chemins multiples et c’est assez agréable de se rendre compte au bout de plusieurs années que tout était cohérent et qu’une chose menait à une autre. Je savais que je voulais faire des études dramatiques parce que j’aimais beaucoup jouer, j’avais déjà mis en scène des pièces et joué dedans et j’avais envie de poursuivre dans cette voie. Puis, comme j’ai toujours été attirée par ce qui concerne la langue anglaise, le théâtre de Shakespeare, la poésie, je trouvais que c’était une bonne opportunité d’aller étudier là-bas. Aussi, dans les écoles d’art dramatique en Angleterre, il n’y a pas que l’art dramatique qui est enseigné. On apprend à chanter, à danser, on apprend même l’escrime. C’est beaucoup plus physique qu’en France. Quand je suis rentrée d’Angleterre, j’ai rapidement eu un engagement dans une pièce qui a tourné près d’un an dans différents pays d’Europe. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose. Je commençais déjà à écrire des poèmes, des histoires, en anglais. Avec Grégoire Hetzel, avec qui j’ai fait mon premier album, j’ai commencé a improvisé, à transformer ces poèmes en chansons sur des mélodies que Grégoire faisaient au piano. C’est comme ça que ça a commencé, ensuite tout est allé très vite. On a co-composé, on a fait des maquettes que l’on a présentées à plusieurs maisons de disques, puis on a fait des concerts. Et petit à petit, la chanson s’est imposée comme une évidence.

Hexagone : Tu étais déjà musicienne au départ ?
Marie Modiano : Oui. De façon très autodidacte même si j’avais fait du piano classique depuis l’âge de 5 ans. Je ne me considère pas comme une bonne interprète mais j’ai les bases nécessaires pour pouvoir composer. Donc, il y a cette liberté-là de pouvoir tout simplement s’exprimer à travers la composition musicale et c’est suffisant finalement.

Hexagone : Quand tu étais petite, la chanson était présente chez toi ?
Marie Modiano : Oui, beaucoup. J’ai beaucoup écouté de musique avec ma mère, elle m’a fait écouter les chansons de sa génération, les artistes des années 60. La Motown, les Beatles, Bob Dylan, etc.

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Hexagone : Très anglo-saxon comme culture…
Marie Modiano : Très anglo-saxon mais avec quand même de la chanson française. Ensuite, à partir de 15 ans, je me suis construite par moi-même. J’ai beaucoup écouté de jazz, surtout Thelonious Monk. Je pense qu’à partir de l’adolescence on emmagasine des émotions, on enregistre et par la suite on le détourne pour faire soi-même.

Hexagone : Tu as des souvenirs de scènes, de spectacles qui t’ont impressionnée lorsque tu étais jeune ?
Marie Modiano : Ça va peut-être te surprendre, mais un artiste qui m’a vraiment impressionnée lorsque j’avais 9 ou 10 ans, c’est Charles Trénet. J’étais allée le voir au Châtelet. C’était incroyable. Déjà, lorsque l’on écoute les textes de Charles Trénet, ce sont des poèmes. Un peu plus tard, je suis allée voir Prince, c’est également un grand souvenir. Il n’y a pas trop de liens entre Charles Trénet et Prince mais ce sont des souvenirs de scène assez incroyables.

Hexagone : Tu as un profil d’artiste plutôt polymorphe : auteure de roman, de poésie, chanteuse. Est-ce que ces différentes activités sont complémentaires, doivent coexister ou pas du tout ? Et de laquelle de ces activités te sentirais-tu la plus proche ?
Marie Modiano : Je me rends compte que tout se répond de l’un à l’autre. Dans l’écriture d’un roman par rapport à l’écriture de chansons, il y a la durée, il faut tenir. Ce n’est pas plus difficile mais c’est moins léger comme exercice. Je ne dis pas que l’écriture de chansons est un exercice léger mais comme c’est un format très court, on a un résultat assez rapidement, avant même de faire une maquette ou un enregistrement. Un roman, on avance chaque chaque jour, à petits pas. Ce que j’aime beaucoup, que ce soit pour l’écriture d’un roman ou d’un album, c’est la solitude nécessaire pour créer seule. On est un peu dans son monde, isolée. Puis, vient le studio où ça s’ouvre un peu, puis la scène où ça s’ouvre entièrement. Et à la fois ces va et vient entre soi-même et son imaginaire, c’est ça qu’on ne peut pas avoir avec la littérature. C’est vrai qu’il y a les gens qui lisent tes livres, mais ce n’est pas direct, alors que ce qui est formidable c’est de pouvoir faire des concerts et de pouvoir avoir un lien direct avec le public. Cet aspect-là m’apporte énormément dans mon métier, dans mon chemin d’artiste.

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Hexagone : Concernant le choix de la langue, c’est quelque chose qui t’a paru naturel de chanter en anglais ?
Marie Modiano : Oui, du fait de passer de cette improvisation musicale, et peut-être que dans les chansons que je portais en moi, il y avait une sorte d’évidence de la langue anglaise. Ça s’est fait comme ça. Ça me fait sourire le chemin parcouru, j’ai aujourd’hui le désir de m’exprimer dans ma propre langue. J’ai d’ailleurs déjà commencé à écrire en français. Aujourd’hui, l’évidence c’est que je dois le faire, que je dois chanter en français. Ce n’était pas le cas auparavant. C’est passé par la poésie puisqu’il y a eu le dernier disque, Espérance Mathématique. Ça a été un long chemin pour arriver à mon prochain album qui sera, je pense, essentiellement composé de chansons en français.

Hexagone : Sur le plan discographique, ton premier album, I’m not a rose, paraît en 2006. Tu peux raconter un peu son histoire ?
Marie Modiano : Je travaillais avec Grégoire Hetzel. On a commencé, après avoir découvert qu’on pouvait faire des chansons à partir de mes poèmes et en improvisant. On a co-composé sans cesse, on n’arrêtait pas. Parfois plusieurs chansons par jour, on a dû faire une centaine de chansons avant de faire le choix d’une douzaine pour faire les maquettes de l’album. C’est donc un premier album, avec des choses très personnelles, et il y a quelque chose qui m’émeut lorsqu’il m’arrive de le ré-écouter. Il y a quelque chose qui sortait entièrement de moi, de spontané et d’assez pur en fait. Sans la tentation d’un formatage par une maison de disque pour que ça marche. Il y avait sur ce disque une forme de naïveté qu’il est très difficile de retrouver ensuite, sur un second ou un troisième album.

Hexagone : C’est intéressant comme démarche pour un premier album. Généralement, un premier album est plutôt une compilation de titres qu’un artiste chante depuis parfois plusieurs années, toi ce n’est pas ça du tout.
Marie Modiano : Non, ça s’est fait vraiment sur deux ans. Ça a été comme un jet. Comme quelque chose que j’avais enfermé en moi et tout à coup, une porte s’est ouverte. Je composais même la nuit, ça n’arrêtait pas. Ensuite, le flot s’est un peu ralenti pour les albums suivants.

Photo Flavie Girbal
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Hexagone : Et Outand, le second album en 2008 ?
Marie Modiano : Pour Outland, j’avais rencontré Peter Van Poehl, qui jouait déjà de la guitare sur le premier album qu’on a enregistré à Berlin. J’avais beaucoup aimé son premier album, Going where the tea trees are. Ensuite, on a fait régulièrement des duos sur scène, puis c’est devenu une évidence que je voulais travailler avec lui pour réaliser l’album. On a co-composé certaines des chansons du disque, il l’a réalisé et on l’a enregistré en Suède, à Göteborg. Je travaille encore aujourd’hui avec certains artistes musiciens qui ont participé à cet album, qui étaient des complices. C’était quelque chose de très joyeux. Ce qui est important quand on fait ce métier, c’est de constater que l’on avance, que l’on progresse.

Hexagone : Les troisième et quatrième albums sont sortis en même temps, fin 2013. Ram on a flag et Espérance Mathématique. Ram on a flag déjà, que peux-tu en dire ?
Marie Modiano : De la même façon, Ram on a flag a été composé environ sur une période d’un an. J’ai beaucoup écrit également lorsque j’étais en Suède à laquelle je suis très liée par Peter. Sur l’île de Gotland, qui est très inspirante avec des paysages très forts. J’ai écrit beaucoup de chansons sur cette île. Comme à ce moment-là, je n’avais plus de maison de disque, ça a été le début d’autre chose pour moi, comme avec le disque qui suit qui est une adaptation d’un recueil de poèmes que j’avais publié en 2012 où toutes les musiques sont de Peter. On a créé notre label avec Peter et c’est aussi le début d’une aventure. Il y a une réalité économique. On sait qu’on est dans le bon chemin, après c’est très difficile de faire tout ça, mais c’est en même temps très excitant et la moindre chose positive qui arrive, que ce soit par les articles, nous apporte une force précieuse. C’est une démarche presque artisanale et c’est ce que je trouve beau dans cette aventure.

Hexagone : Sur ces deux disques parus sur votre label, Nest & Sound, on sent comme un basculement artistique qui a été relativement salué par la critique. Presque un an après la sortie de ces 2 disques, quel retour d’expérience fais-tu ?
Marie Modiano : Oui, l’accueil a été très bon. Ce n’est pas simple de créer son propre label, et peut-être que la sincérité de notre démarche a touché les gens. Aussi, en même temps que ces deux albums, j’avais sorti mon premier roman. Peut-être que j’avais envie de livrer un peu de « qui je suis » tout simplement et par des projets très différents les uns des autres.

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Hexagone : De plus en plus, sur tes albums, tu sembles t’inscrire dans une démarche littéraire. Avec l’adaptation des poèmes sur Espérance Mathématique mais pas seulement.
Marie Modiano : Oui, bizarrement sur celui en anglais également. Je m’applique autant sur les textes en anglais et en français. J’aime raconter des histoires, j’aime la forme poétique mais pour moi la chanson doit être, par la musique mais aussi par les paroles, un voyage pour faire rêver les gens. Les chanteurs que j’aime, les artistes que j’aime sont ceux qui ont réussi à amener une force littéraire dans leurs chansons. Comme Leonard Cohen, Nick Cave, Charles Trénet, Jacques Brel. Je suis toujours sensible aux beaux textes dans la chanson, qui peuvent être lus aussi.

Hexagone : Quelle est ton hygiène de travail ? Est-ce que tu te mets à ta table tous les jours ?
Marie Modiano : Oui, plutôt tous les jours. Je commence généralement par la musique. Ça m’arrive rarement de composer une chanson d’après un texte. Il faut essayer d’être dans un état presque « détendu ». Une fois que j’ai la musique, il faut que j’ai un thème, une idée. Une fois que j’ai le thème ou l’idée, parfois ça peut être juste un ou deux mots, ça y est, ça coule ensuite.

Hexagone : C’est l’image qui fonctionne ?
Marie Modiano : C’est l’image, quelque chose que j’ai vu. J’ai différentes formes d’influences, je suis assez observatrice. J’observe autour de moi, je voyage beaucoup. Je prends des notes intérieures ou des notes dans des cahiers. Tout peut être source d’inspiration. Je vois beaucoup de films, je lis beaucoup aussi ou parfois même des émissions à la télé m’ont inspiré des chansons. Tout est inspirant, ça dépend de la manière dont on l’enregistre. L’important, c’est la manière personnelle dont on délivre les choses.

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Hexagone : Monter sur scène, est-ce que c’est la finalité par rapport à ton métier ?
Marie Modiano : Je dirai que c’est un peu la récompense. C’est dur, d’un point de vue économique, de tourner. Je vais faire pas mal de concerts seule, dans l’idéal j’aimerais ne pas être seule. Après, c’est important de faire des efforts et de s’adapter par rapport à cette réalité économique. Tourner, avoir des musiciens, ce n’est pas facile. Ce n’est pas évident aujourd’hui de vendre des places, sauf à être ultra connu, un artiste doit alors savoir s’adapter à n’importe quel contexte pour pouvoir continuer son chemin.

Hexagone : Tu es une personne réservée, c’est un lieu où tu te sens à l’aise la scène ?
Marie Modiano : C’est un métier, ça s’apprend. Autant on pourrait tricher sur des enregistrements mais la scène, c’est quelque chose qui s’apprend et qui ne ment pas. Plus on fait des concerts, plus on s’améliore, plus on parvient à apprécier. Il faut trouver le juste milieu pour être concentré d’un point de vue technique et en même temps, se laisser aller pour arriver à délivrer le plus d’émotion au public.

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