Mercredi dernier, le 11 juin, tu t’en souviens, nous étions allés applaudir Bacchus à Extérieur Quai. Cependant, forts de notre don d’obliquité, nous avons aussi assisté au concert que Babx donnait au 104. On t’en a rapporté quelques photos et surtout cette conviction : Babx assure, je t’assure.
On avait passé 10 ans sans assister à un de ses concerts, sans qu’il y ait une raison à cela, ça s’est juste fait comme ça. Imagine… La dernière fois, c’était au Limonaire, ce proverbial bar à chanson de derrière les fagots et derrière les Grands Boulevards et il était seul au piano. Alors, autant dire que le choc décoiffe. Passer sans transition du dénuement du piano solo à la profusion, voire à une fusion pro d’une formation de 6 musiciens tous plus brillants les uns que les autres, ça décoiffe, comme je te dis. Et il suffit de voir la couverture du dernier album de Babx, Drônes personnels, pour s’en persuader.
Que je t’explique. Déjà le Limonaire, y’a pas à tortiller, c’est chouette, c’est un hotspot dans la chanson mais y’a juste un spot, un vieux piano et roulez. Le 104, c’est plus fourni niveau équipement. Et Babx, non content d’être pianiste, n’en fait pas non plus une prérogative de se clouer à son piano acoustique comme Christ en croix. Du coup, sur scène, y’a du monde et un peu tous les musiciens jouent du clavier. La liberté artistique est de mise, c’est moi qui te le dis.
Que je te raconte depuis le début. A l’ouverture des portes, on a été accueillis par un quatuor à cordes accompagné d’une guitare électrique dans une ambiance grand siècle de l’électro. Et déjà, ça en jette. C’est classieux et beau, ce qui ne gâche rien. L’arrière scène projetait des images de théâtre à l’italienne vieillot alors, comme dans les théâtres à l’italienne où le spectacle est dans la salle autant que sur scène, on a regardé autour de nous pendant cette première partie. Et là, on a vu Kent, Arthur H et Albin de la Simone. Je m’excuse auprès de ceux qui étaient là mais que je n’ai pas vus, je vous claque une bise quand même et on tapera le carton un de ces 4. Bon, rien que ça, ça te donne une idée des univers que Babx arrive à réconcilier. La présence particulièrement d’Albin de la Simone place notre lauréat du Prix Raoul Breton 2014 dans la cour des grands arrangeurs. Ceux aux pavillons d’or qui savent faire sonner tout et tous, même Julien Doré.
Bref, quand le concert a commencé, Babx a entamé la démonstration : il est à l’aise dans tous les registres avec tous les modes. Du quatuor à cordes électro donc, aux arpèges de Bach, des boucles très Radiohead à la plume d’un Gainsbourg à bouclette, du tour de chant du chââânteur à la formation rock fusion égalitaire où chaque musicien y va de son innovation. Abolition des frontières, abolition des hiérarchies. Musique décomplexée, plume brillante. On trouve dans les textes de Babx le motif éternel du portrait féminin, charnel et inventif. Celui de Baudelaire, plutôt que celui de Julien Clerc et Francis Cabrel – sauf le respect que je leur dois. Plus encore, ce motif montre à quel point Babx est décentré. Car notre chanteur, contrairement à une scène – respectable néanmoins – ne verse pas dans l’autobiographie. Il s’adonne au littéraire et fait sonner le français comme s’il venait d’Oxford avec une ligne mélodique vallonnée et glissée porteuse d’un style. Avouons que c’est un soulagement.
Alors, on n’en a entendu parler, de Babx, pendant 10 ans. Que ce soit sur un thème maraîcher – « il a le melon » – ou sur un mode mineur – « quel prétentieux, ce type ! »… Après examen approfondi de son parcours, on dira de manière définitive à qui veut bien l’entendre, sur un mode baroque décomplexé : Quel artiste brillant qui a su gravir tous les échelons de la chaîne de production de la chanson jusqu’au moment où il les a dépassés, faisant de la chanson ce qu’elle n’avait pas encore été. Et vu qu’il joue dans cette cour-là, il aurait bien le droit, Babx, l’artisan, l’artiste, le visionnaire, le petit trentenaire, d’être l’homme à la tête de pastèque ça-comme !