A Clichy, un atelier chanson avec Polo

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Photo David Desreumaux
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La chanson, ce n’est pas que tubes, succès et vedettes. Bien sûr (et heureusement !) que cela existe mais avant d’arriver sur l’affiche – si ce n’est en haut – le parcours est souvent long, sinueux et difficile. Le travail d’auteur / compositeur / interprète ne s’invente pas, ne s’improvise pas mais est bien souvent le fruit d’un acharnement joyeux dans la besogne musicale et littéraire.

Faire participer des élèves de collège à ce processus de création artistique, c’est le défi qu’a relevé Flavie Girbal, professeur de Lettres au collège Jean Jaurès de Clichy dans les Hauts de Seine. Après une première expérience réussie et très encourageante l’an dernier, Flavie a reconduit cette année un « projet chanson » auquel a pris part le chanteur Polo (voir interview ci-dessous) en tant qu’intervenant extérieur. Pour Flavie, par le biais de cet atelier, l’idée est d’intéresser les élèves à un processus de création littéraire mêlé à une autre forme d’expression artistique qu’est la musique. A ce titre le projet s’est parfois déroulé en collaboration avec le prof de musique, Guillaume Turbet-Delof, et avec Pierre Polvèche, accordéoniste et comparse de Polo au sein de leur groupe Les Pierres de Cristal.

Photo David Desreumaux
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Financé par le Conseil Général du département, la DAAC et la Mairie de Clichy, orienté cette année autour du thème de la jeunesse défini par le professeur, le projet a accouché d’une chanson inédite (à écouter ci-dessous) écrite par les élèves de deux classes de 3ème et Polo et chantée par une classe de 6ème à l’occasion du festival Bain de Rue de Clichy le 18 mai dernier sur la scène du parc Salengro. L’atelier conclura cette année de travail sur l’enregistrement au conservatoire de Clichy des titres écrits durant les deux années d’existence du projet et un disque sera pressé. Pour la plupart des élèves, c’est ici une première expérience d’immersion dans le monde de la création musicale et sa production. Peut-être de quoi faire naître des vocations ?


Ecoutez la chanson Ma jeunesse écrite par les élèves de l’atelier et Polo et chantée par Polo.


 Très impliqué dans ce type de projets et intervenant-acteur sur l’atelier chanson du collège Jean Jaurès de Clichy, nous avons posé quelques questions à Polo qui en connaît long dans le domaine …

Photo David Desreumaux
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Hexagone : Depuis quand travailles-tu en collège et dans les écoles ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui a provoqué cette envie ?
Polo : Depuis 2006. J’ai remplacé Néry sur un atelier d’écriture en Haute-Saône, avec la musicienne intervenante Evelyne Menaucourt. Ce projet m’a tellement enthousiasmé que je l’ai reconduit pendant quatre ans, en créant un atelier de création de chanson pour les enfants. On peut voir le résultat de ce travail dans le documentaire de Laurent Périssé Quand la bulle chante, diffusé sur France 3. Je crois que tout y est dit. Par la suite, j’ai mené beaucoup d’autres actions de ce type, jusqu’à ce que cela devienne une de mes principales activités professionnelles, et je collecte de nombreuses chansons écrites avec les enfants que j’ai bien l’intention de partager un jour sur un album qui leur sera consacré.

Hexagone : Y vois-tu un prolongement de ton travail d’artiste ?
Polo : Absolument. L’écriture des enfants, leur vision du monde et surtout la liberté de leurs mots et des images littéraires qui en résultent me nourrissent. C’est à la suite de tout ce travail que j’ai pu écrire les chansons de mon nouveau groupe rock Minibus consacré au jeune public.

Hexagone : Que cherches-tu à faire passer vis à vis des élèves et comment t’y prends-tu ?
Polo : Je cherche à leur faire découvrir que l’écriture et la poésie sont un plaisir joyeux et une émancipation du prosaïsme de la vie quotidienne. Que les mots permettent de percer le mur des apparences et de révéler la magie qui nous entoure. Les mots sont magiques, mais il faut accéder à leur pouvoir.
J’ai inventé des exercices, des ruses, des moyens de les découvrir comme je les ai découverts moi-même par la lecture des textes classiques et en écrivant de la poésie. Il y a des règles dans la poésie française qu’il faut connaitre, même pour les transcender. Il faut prendre en compte le travail colossal que les grands poètes nous ont laissé pour pouvoir jouer avec. Hors, ces règles sont avant tout musicales, et c’est pourquoi la poésie et la chanson sont si intimement liées.

Photo David Desreumaux
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Hexagone : Qu’attends-tu de ce type de projets, pour toi et pour les élèves ?
Polo : Au final, j’aimerais qu’après notre atelier les enfants ne voient plus la poésie de la même manière, et qu’ils prennent confiance en leur capacité créative d’écriture. Ce travail se veut complémentaire de celui du professeur, qui reste au centre de mes préoccupations.

Hexagone : Comment fais-tu travailler les élèves ? Quels sont tes outils, tes arguments, etc.
Polo : J’ai la chance d’être un artiste, donc un intervenant extérieur chargé de mystère, et j’en joue. Je leur lis des textes, je leur chante des chansons. La première séance de rencontre avec eux est comme un spectacle. Tout se joue souvent à ce moment-là. C’est une fois en confiance qu’on commence à travailler. Tout se fait collectivement et chacun intervient de manière très vivante. Nous nous amusons avec les thèmes, les mots, nous partons à la pèche des champs lexicaux, des rimes, des assonances, des images que l’association de mots produit à l’esprit. Peu à peu, nous « lissons » notre texte comme un artisan fignole son ouvrage. Peu à peu, je tends à leur faire maîtriser parfaitement la prosodie et la versification de la langue française de manière sensible et ludique. Pour la musique, j’ai repris entre autres la méthode de Jean Sébastien Bach qui associait des lettres à des notes de musique. Ici, à Clichy, pour la chanson Ma jeunesse, nous sommes partis sur les notes du mot jeunesse qui donnait : do mi sol sol mi mi mi mi. Et comme par hasard, il s’agit de la tierce majeure de l’accord de do, la première harmonie qu’apprennent les enfants, comme dans la chanson des Aristochats Des gammes et des arpèges. Cette mélodie contient toute la simplicité et la candeur de l’enfance, et sert merveilleusement le texte de cette chanson pourtant très sombre, écrite par des ados de 3ème qui y ont exprimé beaucoup de leurs angoisses existentielles qui nous sont ici données à entendre.

Hexagone : Comment tes interventions sont-elles ressenties par les élèves ? Quels retours te font-ils ?
Polo : J’ai la folie de croire qu’un professeur qui invite un artiste dans sa classe offre aux enfants encore plus de lumière que ne contient déjà son enseignement bienveillant. Il leur fait un cadeau formidable qui représente beaucoup de prise de risque pour lui et d’investissement sur son temps libre. J’espère dans un premier temps être digne de la confiance que m’accorde ce professeur, et avec lui, faire en sorte de changer quelques existences. Moi même, je me souviens de chaque expérience de ce type lorsque j’étais enfant. Je n’oublierai jamais madame Raymond qui nous avait emmenés à Rome, fait rencontrer l’écrivain Marie Cardinal, donné la passion du latin. Madame Garnier qui nous avait emmenés faire un concert de flûte à bec devant un public, et l’émotion que j’avais ressentie comme une évidence. Monsieur Guyot qui m’habite aujourd’hui encore quand je relis Madame Bovary et qui m’a donné envie d’écrire. Je n’attends aucun retour des élèves, il me suffit de ressentir la profonde certitude que notre travail portera ses fruits. Au demeurant, j’ai tout de même plaisir à voir trente paires d’yeux briller à la dernière séance de travail, quand on se quitte.

Photo David Desreumaux
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Hexagone : Quelles sont les questions les plus fréquentes posées par les élèves ?
Polo : M’ssieur, est-ce que vous êtes connu ? Vous passez à la télé ?
Ce à quoi je réponds :
– M’avez-vous déjà vu à la télé, me connaissez-vous ?
– Non.
– Connaissez-vous Mickaël Jackson ?
– Ouiiiiiiiii
– Ben lui, il est connu…
Au delà de la plaisanterie, les élèves ont au départ du mal à séparer la notion d’artiste de celle de notoriété. C’est pour eux l’occasion de découvrir que pour un artiste dans la lumière, il y en a des centaines d’autres qui travaillent tout autant dans la vie normale, ainsi que des techniciens et tous les acteurs du monde du spectacle.

Hexagone : Trouves-tu leur rapport à la chanson modifié entre le début et la fin du projet ?
Polo : Modifié je ne sais pas, mais enrichi certainement. Les chansons qu’écoutent les enfants sont généralement dans un format très actuel et très dans l’air du temps, souvent des phénomènes de masse. Les ateliers leur permettent de découvrir d’autres choses, sans être en opposition avec ce qu’ils aiment, et je pense qu’ils en sont ravis. Ainsi dans le spectacle de Clichy avons-nous chanté Happy de Pharrel Williams, et Brassens. Ça marche très bien et c’est ça qui me plait.

Hexagone : Selon toi, qu’est-ce que la chanson travaillée sous cette forme de projet à l’école apporte que les cours traditionnels n’apportent pas aux élèves ?
Polo : Peut-être un autre angle de vue sur l’utilité personnelle et concrète de l’écriture. Mais l’enseignant reste la clé de voûte de leur ouverture d‘esprit. C’est un métier qui reste un des plus nobles et des plus admirables à mes yeux dans notre société.

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