Pour la première représentation de sa nouvelle création Le projet Derli, Wally a choisi Le Bijou à Toulouse, salle fétiche où il est venu présenter son premier solo au siècle dernier – il y a vingt-quatre ans – et dans laquelle il joue régulièrement depuis (c’est par exemple, en huit ans son quatrième passage). Ce spectacle, surement le PROJET le plus personnel de DERruau LIlian, sous-titré Les chansons d’humeur accompagnées de Wally, a été évoqué depuis longtemps par l’artiste, mais ce soir celui-ci se jette à l’eau. Le projet devient spectacle. Le chanteur d’humour fait des chansons d’humeur. Le spécialiste des chansons (très) courtes se met aux chansons d’une durée normale. Le guitariste solo joue avec… cinq autres musiciens. Quelques minutes avant le début du concert, il viendra sur le côté de la salle, peut-être pour humer l’ambiance. La première est toujours un soir particulier et il reconnaîtra la présence des Toulousains, fidèles et pros, et aussi celle d’amis de son village Montbazens en Aveyron qui ont fait le déplacement.
Et c’est parti. Et c’est superbe. En fait Mr Derruau nous parle de sa vie, de sa nostalgie, de son rapport au temps qui passe, au mode de vie qui a changé (C’était mieux avant). Avec des chansons pas vraiment rigolotes mais chargées d’émotion et à l’écriture réussie. La fuite du temps – « qui ne se répare pas avec une clé de douze ! » semble une des thématiques principales, reprise dans plusieurs textes comme Ça se précise (« l’impression pas trop exquise que la vie nous dévalise, qu’il n’y aura pas de remise ») et 40 ans (« 40 ans je suis bien content de les avoir eus et pourtant je sais bien que dorénavant j’en ai plus derrière que devant). Il a gardé, comme quand on est jeune, le sentiment de l’injustice et l’envie de se révolter très fort : une chanson, en solo guitare, évoque la mort du jeune Rémi Fraisse, « Tout juste 21 printemps, manifestant pour que les arbres on ne les abatte pas », tué par un gendarme qui a bénéficié d’un non-lieu, donc « mort deux fois ». Avant de chanter Le bonheur (C’est donc cela le bonheur ces zones commerciales franchisées où bien sur tu peux tout trouver hormis un peu d’humanité mais c’est un détail car c’est vrai, c’est pratique pour se garer) il déclare « Nous, on y a cru un moment donné, on a même milité. Passé la cinquantaine, on s’aperçoit qu’il y a trop de merde partout et qu’on n’a pas assez de couches pour changer le monde, alors on se retire et… on fait des chansons pas drôles ».
L’intime afflue tout comme la présence, sur plusieurs chansons, de l’enfance et de l’adolescence (J’étais le bon copain), avec entre autres un superbe portrait d’un adolescente de seize ans. En rappel, juste accompagné par le son du violoncelle il évoquera sa mamie et son papi. Comme morceau ultime, après avoir dit ne jamais avoir écrit de chanson d’amour, il en dédie une à sa compagne, présente dans la salle, T’es vraiment plus belle que jamais : un joli moment d’émotion. Et comme dit et répété dans sa première chanson « «Faut se lâcher avant que ça lâche, faut s’éclater avant d’éclater ». Car l’’humeur et l’émotion n’excluent pas l’humour : le public rit sur certaines chansons, voire sur certaines phrases ou formules. D’ailleurs, il reprend certaines « blagues » de son show d’humour (notamment celle sur les chips à l’ancienne pour les lecteurs connaisseurs). Comme toujours souriant et bonhomme, éclairant d’humanité, il emporte le morceau, avec ses chansons tendres et émouvantes (qui nous touchent car elles parlent de nous) en gardant sa faculté de faire rire avec ses titres constat de la vie d’aujourd’hui.
Au-delà, de ses chansons, on ressent son plaisir d’être à plusieurs sur scène, dans un projet vraiment musical. Et quelquefois, il s’assoit et écoute son « orchestre ». Car ce concert est un régal musicalement. Nicolas Lescombe, n’y est pas pour rien. On l’a connu, et souvent vu, à Luxey pour le festival Musicalarue, dirigeant le JOSEM (Jeune Orchestre Symphonique Entre deux Mers) ou avec son duo de chansons Sans additif. Sur scène, il joue de la clarinette, « du basson » et de l’accordéon. Pour Le Projet Derli, il a écrit de superbes arrangements et a choisi les quatre musiciens à grand talent : la violoncelliste, le violoniste, le contrebassiste et le batteur/percussionniste. Sur un morceau ils se transforment même en un orchestre de cuivres. Et souvent nous sommes charmés par la diversité des musiques proposées et émus par la beauté du son des cordes. Du texte, de l’émotion et des sourires, un écrin musical : nous bénéficions d’un vrai spectacle complet où les lumières jouent aussi leur rôle, en valorisant les musiciens.
Wally nous a semblé ému, un peu stressé, en début de concert. Alors bien sûr c’est une première. Il reste des petites choses à caler. Entre les chansons Derruau se réfugie derrière Wally souvent pour faire rire son public (le rassurer ? se rassurer ?) comme s’il avait peur de la réaction de son public. Eh Lilian, te prends pas la tête, il est super ton spectacle, on va continuer à t’aimer ! Peut-être même encore un petit peu plus fort. Un peu moins pour la performance du show-man, un peu plus pour l’émotion dégagée. Une ovation a accueilli cette première qui a touché l’artiste. Les retours des spectateurs sont plus qu’enthousiastes. Tard dans la soirée, dans la salle de bar, Nicolas Lescombes a sorti un ukulélé suivi par la violoncelliste portant son instrument en jouant puis ensuite par les autres. Un beau moment : on sent qu’une belle équipe est née.
Le lendemain, le groupe rejoue le spectacle deux fois. Le soir à nouveau au Bijou. Et avant, à midi trente, dans le cadre de La Pause Musicale du jeudi, Lilian/Wally y sera déjà plus décontracté. Les retours seront là aussi très positifs. Hexagonaute mon ami, tu prends souvent en début d’année des résolutions contraintes et pénibles. Je te propose une résolution – émotion et plaisir – pour 2018 : voir Le Projet Derli ! (dont tu peux voir des extraits des concerts au Bijou ici)
Une bonne heure après le premier concert nous avons échangé quelques minutes autour d’un verre. Le lendemain, juste après sa prestation je retrouve l’artiste pour quelques questions. Nous sommes assis sur deux sièges spectateurs.
Hexagone : Le Projet DERLI, tu le portes en toi depuis longtemps, tu en as parlé plusieurs fois, quel a été le déclic qui t’amène à la création d’hier ?
Wally : L’âge avançant, et c’est une thématique du spectacle aussi, c’est l’idée de « se lâcher avant que ça lâche, de s’éclater avant d’éclater » (phrase extraite d’une chanson). De le faire vraiment et de ne pas le faire petit bras. La rencontre avec Nicolas Lescombe a été très importante. Habitués de Luxey (Musicalarue) tous les deux, on s’y est croisés depuis des années. J’ai apporté mes chansons et je lui ai confié les clés du camion. Il a fait tous les arrangements. Cela fait un an que l’on travaille dessus, pour les compositions. Il a recruté les autres musiciens, que je ne connaissais pas.
Hexagone : On sent déjà de la complicité. Vous travaillez ensemble depuis longtemps ?
Wally : On bosse ensemble depuis peu de temps. On a fait une petite résidence à Bordeaux, une petite résidence à la maison de trois jours. On s’est vus peut-être sur huit journées. Là on vient de faire notre deuxième concert et on retravaillera cet après-midi… Mais oui, Il se trouve que l’on forme une belle équipe complice avec une super entente.
Hexagone : En général, les artistes habitués au solo, ensuite se mettent à jouer à deux ou trois sur scène, toi c’est six d’un coup, pourquoi ?
Wally : Je trouvais que le jeu en valait la chandelle. L’état de la chanson étant ce qu’il est, quitte à faire ce projet autant se faire plaisir. J’avais envie de jouer avec des cordes. C’était l’occasion de le faire d’autant plus que ces chansons s’y prêtent.
Hexagone : Hier, c’était la première, peux-tu nous dire ton ressenti après ces deux premiers concerts ?
Wally : Nous, nous sommes très contents. Et très humbles aussi par rapport à ce qu’il nous reste à travailler sur le plan musical et sur le plan scénique. Ce sont les premières représentations et nous sommes encore concentrés sur nos partitions. Mais je suis très content des retours, d’hier et d’aujourd’hui et de l’effet des chansons sur les gens. Ils sont émus. Et puis, et c’est une surprise pour moi, ils rient. Alors que ces chansons-là d’humeur je ne les ai pas écrites comme quand on se conditionne pour faire un solo d’humour comme c’est mon cas depuis des années. Le public est aussi sensible à des chansons comme Le bonheur, cette vision sur « c’est quoi le bonheur aujourd’hui ».
Hexagone : Car le thème principal c’est le ressenti d’un homme qui a du vécu et qui regarde un peu autour et derrière lui. Tu confirmes ?
Wally : Oui, c’est l’histoire d’un homme – moi, en l’occurrence, mais qui j’espère pourrait être n’importe qui d’autre – qui a eu des mômes, qui vieillit, qui a un regard sur son passé, sur la vie d’aujourd’hui et sur son avenir. La part d’enfance tient une place importante. Il y du sourire, de l’émotion, du rire et de la tendresse. Et je suis très touché que les gens soient… touchés, émus.
Hexagone : Un dernier mot, peut-être sur ce spectacle ?
Wally : Je propose avec le Projet Derli un autre type de spectacle, un pas de côté dans mon parcours. C’est peut-être, en fait, presque mon vrai premier spectacle, sans dénigrer ce que j’ai fait avant. Si le public peut se retrouver avec du rire et de l’émotion, c’est peut-être ce que j’essayais de faire depuis des années. C’est certainement mon spectacle le plus personnel. Et vu comment « l’orchestre » sonne, cela donne envie de continuer. La chanson, de mon point de vue, enfin une certaine chanson, souffre souvent de non musicalité. Et moi, musicien à la base, j’ai envie de musicalité. De plus, je pense qu’une bonne chanson doit, avec des mots simples, toucher les gens. Ce n’est pas toujours gagné mais c’est ce que j’essaie de faire avec ce type d’écriture pour le projet Derli.
Wally : Le projet Derli les 13 et 14 décembre 2017 au Bijou à Toulouse, le 17 à la Pause Musicale. Compte-rendu du concert du 13. Photos et entretien le 14. Photo de une : © Chantal Bou-Hanna – Barjac 2016
L’orchestre : Wally / Lilian Derruau (guitares, voix), Marie Tournemouly (violoncelle), Nicolas Lescombe (clarinettes, accordéon), Thomas Mazelier (violon), Franck Duhamel (contrebasse), Pierre Tibo (percussions).
Quelques dates ces prochains mois : le 10 février Les Bains Douches à Lignières (18), le 1er mars au Train Théâtre à Portes lès Valence (26), le 10 mars Le Sou à La Talaudière (42)
Beau papier Michel sur un projet – DERLI – qui le mérite
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