« Chansons de l’instant » : lecture de textes de Laurent Berger par Alain Plagne

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Laurent Berger © David Desreumaux

« Chansons de l’instant » : lecture de textes de Laurent Berger par Alain Plagne, lundi 28 juin 2021 au Théâtre du Nord-Ouest (Paris)

Après Jacques Bertin (entre deux confinements) et Allain Leprest (début juin), changement d’ambiance : c’est Laurent Berger qui a eu droit à une relecture théâtrale de ses chansons-poèmes. Alain Plagne s’est attaqué au recueil Chansons de l’instant récemment paru ; traversée de l’univers du chanteur isérois, par des chemins balisés – chansons gravées sur disques – ou voies méconnues (quelques inédits de très belle facture).

« S’attaquer », le mot est fort : on n’aborde pas les pentes douces de Berger comme on escalade le roc Leprest. Son écriture feutrée propose moins de reliefs à mettre en perspective, de fissures (failles étalées au grand jour) où s’agripper. Peu narrative, souvent très poétique, évitant le spectaculaire, elle ne propose guère de « morceaux de bravoure » ; va son chemin d’un pas tranquille, compose un univers d’apparence tendre et placide. Il ne faut évidemment pas s’y fier : les grands sentiments (l’amour en premier lieu) et belles idées (du politique derrière la poésie) bouleversent à plusieurs reprises le bel agencement… mais toujours en douceur, sans en avoir l’air. Cette langue s’avère in fine plus délicate à manier que celle de son prédécesseur. En outre, le chanteur étant un remarquable « diseur », passer après lui n’était pas simple. Plagne s’en est sorti avec les honneurs, mais on a senti l’assistance, quoique attentive et concentrée, moins tourneboulée qu’à sa précédente représentation.

Laurent Berger
© David Desreumaux

Certains textes tiennent remarquablement debout sans la béquille de la musique : Un vers inachevé, qui « utopise » un monde où l’auditeur ne serait plus passif mais complèterait la phrase suspendue du poète, est idéal pour débuter un spectacle. Lilith, chanson dont on n’avait pas grand souvenir, est une belle redécouverte, assez narrative (presque vaudevillesque) pour marcher comme une petite histoire. Idem Sous un pont (parcours ironique d’un musicien famélique) et Tout est permis (histoire de gosse débarrassé des contingences sociales du qu’en-dira-t-on), assez rapides sur disque, prennent ici le temps de dérouler leurs « effets » : on saisit encore mieux la drôlerie de ces textes quand ils sont dits posément. Enfin, Nuits ouvrières laisse merveilleusement entendre l’héroïque (et absurde) fatigue de ces hommes quittant la machine au petit matin pour retrouver la vie qu’ils ont contribué à bâtir à la sueur du front.

A l’opposée, d’autres textes fonctionnent aussi très bien sans notes, parce que leur poésie génère une musicalité qui leur est propre : Lamantine, qui fait peut-être écho aux Sept épées d’Apollinaire (c’est du moins la théorie de Plagne), imagine une amante recouverte progressivement par des vagues amoureuses et mortifères. Il fait écho à Il y a tant d’îles en elle, inédit filant la métaphore marine pour dire le corps féminin comme un paysage, où certaines zones d’ombre complexées peuvent s’avérer, sous une main trop prompte, aussi vives que piqûres d’oursin. Et Fantaisie crache ses giclées de vers courts qui en disent long, dissimulant sous son apparente légèreté une ambition faramineuse : « à vos routes si sûres /je préfère la luxure /d’absolues trajectoires /de joies blasphématoires ».

Alors, qu’est-ce qui marche moins bien ? D’abord, les textes dont on a trop la musique « dans l’oreille », donnant l’impression d’y perdre quand on la retranche : Plume, mélodie inoubliable issue du premier album, en laisse quelques-unes (de plumes) au passage, son adresse récurrente (« Hé, plume » à chaque quatrain) s’avérant un peu répétitive quand elle est dite. A contrario, L’enfant vague, inédit qui ressemble à une chanson dont on ne connaîtrait pas encore la musique, souffre du même souci : un refrain un peu long ou trop présent, répété entre chaque couplet, qui finit par lasser ; et pourtant, ce qu’il raconte (la mort qui vient sans crier gare) ou suggère (les migrants perdus en mer) est terriblement beau ; mais il aurait peut-être fallu, en le disant, supprimer un ou deux de ces refrains…

Laurent Berger
© David Desreumaux

Aussi, il y a ces moments où Plagne rejoint Laurent Berger sur son terrain de diseur et suscite la comparaison : cette merveille de finesse intitulée Paludier, dont on a retenu chaque nuance gravée sur disque, il nous a semblé l’entendre un peu appauvri, sans l’accent subtil et indéfinissable de son auteur. Idem, dans un autre genre, pour Ton cul sur la commode : on a tant de fois « marché » en voyant le chanteur faire ce monologue en scène, qu’on reste sur la réserve en l’entendant par un autre, avec les intonations placées autrement. C’est purement subjectif, mais lorsque l’oreille est habituée aux effets d’une voix et que celle-ci colle si bien à un texte, il est difficile d’apprécier une autre interprétation : Plagne est bon quand il dépouille de leurs attributs musicaux pour faire découvrir autrement des paroles rendues à leur nudité (ou quand il fait entendre des inédits). Il est moins à l’aise sur des choses déjà contées par leur auteur.

Hormis ces minuscules réserves, on a néanmoins passé un très agréable moment, et il faut citer ce qui a sans doute été le clou de cette lecture : Elle t’attend, mini-tube du 4e album de Laurent Berger, chanson tellement évidente, touchante, humaine (dans son portrait de femme en attente, fragile et forte à la fois), qu’elle est peut-être la porte d’entrée idéale à sa discographie. Force est de constater : ce grand et beau texte (grand par sa limpidité même) fonctionne aussi a minima. Alain Plagne fait revivre cette histoire à sa manière, et l’on a senti un frémissement dans le public. Touché d’une autre façon, mais touché quand même. Mission accomplie.

Nicolas Brulebois

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