Nicolas Bacchus vitupère au Point

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Hexagone : A l’automne dernier, tu es parti de Toulouse où tu devenais une figure locale pour venir t’installer à Paris. Pour quelles raisons ? Ca répond à des ambitions artistiques ?
Ca répond surtout à des ambitions commerciales ! (rires) Pour être à contre-pied de ce que je chante d’habitude… Ca répond à des besoins dans la mesure où à Toulouse, les endroits où je devais jouer, j’y ai joué. Les gens qui devaient me voir m’ont vu. Ensuite, Paris est peuplé de gens qui pensent qu’il n’y a que Paris qui existe et qui n’en sortent jamais leur cul. Donc comme ils ne viendront pas me chercher et comme j’ai quand même envie qu’ils voient ce que je fais, c’est moi qui viens les chercher. J’ai besoin de presse d’une part, et j’ai besoin aussi de partenaires – parce que pour l’instant je suis producteur, attaché de presse, secrétaire, tourneur etc. Et musicien un petit peu aussi quand j’ai le temps… J’arrive donc au moment crucial où je tourne trop pour m’en occuper bien seul, et pas assez pour que quelqu’un d’autre que moi puisse en vivre.

Hexagone : Le passage parisien est-il vraiment indispensable, ce n’est pas un lieu commun ?
N. Bacchus : Dans l’état actuel des choses, effectivement. Mais c’est moins dû à la « magie de Paris » qu’aux parisiens qui pensent qu’il n’y a que Paris qui existe et qui s’étonnent d’entendre qu’on arrive de Toulouse ou de Nantes et que nous aussi on fait des chansons. Ceci dit ça a son petit charme d’être étranger… Ca n’est pas forcément le meilleur critère mais il se fait, entre autres, entre ceux qui font l’effort de venir à Paris, là où les professionnels sont, et ceux qui restent dans leur cabane plus ou moins « du pécheur » et qui sont en train de la repeindre en écrivant des chansons.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Justement, tu en es sorti de ta « cabane »… A Toulouse, tu as débuté dans des cafés, aux terrasses de cafés, dans la rue. C’est formateur comme expérience ?
N. Bacchus : Quand j’ai quitté définitivement mon boulot d’éducateur pour la musique, j’ai décidé de commencer à zéro. La première année, je n’avais pas d’autres revenus que chanter, alors je faisais la manche dans la rue, puis je suis passé aux bistros. Des bistros aux petites salles, puis des petites salles à des salles un peu plus importantes… Pour ce qui est de tourner en province, que je prenne mon billet de train depuis Toulouse ou depuis Paris, ça ne change pas grand chose pour ceux qui m’accueillent à Nantes, à Rennes, à Lyon ou ailleurs. Ce qui change, c’est mon implication dans la vie quotidienne de Toulouse, mais je commence à m’impliquer dans la vie parisienne de tous les jours.

Hexagone : Et jouer dans des conditions difficiles, avec le recul professionnel que tu as, tu considères que c’est une expérience formatrice ?
N. Bacchus : Oui, depuis le début je pense que c’est la bonne école. C’est vrai que j’ai débuté il y a 4 ans à chanter mes propres chansons dans des conditions pas toujours faciles, mais il a 10 ans que je fais le con dans les bistros… Et de toute façon, mon répertoire est adapté à ça : aller, à coups d’épaule, chercher les gens, même ceux qui n’écoutent pas, lancer des vannes etc. Et c’est l’école cafés-concert/café-théâtre. Sur scène, la façon d’être que je recherche, c’est celle des gens que j’ai toujours écoutés. Ça va de Font et Val à Juliette maintenant. Les café-concerts apprennent à être à l’aise en toute situation, et prendre le dessus quelque soit la réaction des gens. Parce que le sud-ouest, ça n’est pas qu’une légende. Dans le sud-ouest, plus qu’en Bretagne, si les gens ne sont pas d’accord avec quelque chose dans une chanson ou dans un baratin, ça gueule, les gens répondent. C’est du tac au tac. Soit tu te défends et tu t’en sors, soit tu coules et tu retournes faire des chansons dans ta chambre et quand t’as fini tu reviens.

Hexagone : Question bateau : La scène, est-ce l’essence de la chanson pour toi ?
N. Bacchus : Ma réponse va être bateau. Plein de gens disent que la scène est leur univers, et quand tu les vois sur scène, ils sont plantés derrière leur micro. Alors je ne sais pas comment répondre sans répéter les banalités que d’autres disent. Pourtant, il est vrai que la scène comme je l’ai apprise et je la conçois, est indispensable.

Hexagone : C’est important pour toi de faire passer un message ?
N. Bacchus : Ca devient psychanalytique, mais on est forcément amené à se demander pourquoi on chante. Il y a un besoin énorme d’être reconnu pour ce qu’on est et ce qu’on fait. Ensuite, il faut avoir une certaine mégalomanie et un certain narcissisme pour se dire qu’on a des choses plus intéressantes que les autres à dire aux gens.

Hexagone : Tu assumes pleinement ton côté revendicateur, vindicatif… D’ailleurs ton album Balades pour enfants louches est un live. Ca n’est vraiment pas un hasard ?
N. Bacchus : Effectivement. Une partie du propos avait disparu des chansons qu’on avait sélectionnées sur mon premier album – enregistré en studio. Entre autres, le côté homo n’était présent que dans une chanson ou une chanson et demi… Or dans mon second album, mon baratin sur Christine Boutin, n’est pas dissociable des propos tendres sur des relations entre mecs que l’on retrouve dans Ton Fils par exemple. En revanche, le propos politique était plus présent dans mes dernières chansons que dans celles du premier album. Mais j’avais écrit plus de baratins politiques ou sur l’engagement social. Au fil du temps, j’ai construit de plus en plus mes spectacles comme ça ; alternant chansons et baratins.

Hexagone : Depuis que tu as débuté la tournée de Balades pour enfants louches, tu as pas mal de dates (+ de 100 pas an je crois). La connaissance de l’artiste voire sa reconnaissance passe-t-elle par ce « dur labeur pour les épinards » pour reprendre une expression de Sarclo ?
N. Bacchus : Je sors de chez moi avec ma guitare à peu près 100 fois pas an. Après, ça va de dates officielles, déclarées, payées correctement et reconnue en tant que musicien, à des soirées de soutien, des émissions de radio, des bistros, des squats où quand tu es payé avec un cornet de frites tu es content. Sur 100 dates, il y en a 45 déclarées et payées au SMIC. Sachant qu’il en faut 43 pour être intermittent, et c’est juste tous les ans. Ça a été juste l’année dernière, mais si je continue comme ça avec ce qu’ils nous préparent, c’est RMI comme 60 à 70 % des futurs ex-intermittents comme cela est prévu… Profitons en pour faire passer un petit message. (rires)

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Pour revenir sur le nombre impressionnant de tes dates, on peut dire, comme tu l’as dit toi-même, que tu arrives à une période charnière de ta carrière. N’y a-t-il pas une question de survie derrière, voire d’obligation ?
N. Bacchus : On revient au côté pécuniaire d’une part… Et psychologique d’autre part. Mais je ne verrai pas ça comme un obligation. Je suis obligé de m’arrêter de temps en temps car comme je fais tout tout seul, les périodes où je tourne, je ne cherche pas de concerts. Donc après, les concerts s’arrêtent et il n’y a plus de dates pendant un mois et demi ou deux mois. Puis je redémarre pour les 3/6 mois d’après. Il y a certes une nécessité vitale à se produire – faut que ça rentre – en même temps, je suis intermittent du spectacle, il n’y a pas de privilégiés chez les intermittents – sauf une minorité qui n’ont pas leur statuts menacés par quoi que ce soit – mais c’est quand même un confort qui permet de s’arrêter un mois ou deux pour chercher d’autres dates sans jouer, de survivre et de payer son loyer.

Hexagone : Tu es actuellement, comme tu l’as dit à une période charnière de ta carrière, dans le sens où tu es de plus en plus sollicité. Tu es ton propre manager, tu fais toi-même ta promo, tu te déplaces partout en France. Ça fait une belle occupation. Ca laisse peu de temps pour la création ça ?
N. Bacchus : Pour ce qui est de la création, il est certain qu’on ne peut pas tout faire en même temps. Ça fait un an et demi que je n’ai pas écrit de chanson, et visiblement, c’est parti pareil pour les 6 mois à venir parce qu’il y a la promo et une série de concerts très serrés. J’ai préparé le disque, puis le festival d’Avignon, puis mon déménagement à Paris, puis la remise en route à partir de zéro… Je risque de faire en plus le prochain festival d’Avignon etc. Pendant ce temps, je n’écris pas. En même temps, ce que je viens vendre ici pour l’instant, pour parler marchandise, c’est une spectacle qui est fait et rodé avec des musiciens et dont je suis content. Et il ne faut pas être trop mégalo non plus, ça fait deux ans que je tourne avec, mais il y a peu de personne ici qui l’ont vu en fin de compte. Dont ce spectacle peut tourner encore un peu, parce qu’un minimum de gens le connaissent déjà, d’autre part, je n’ai pas l’inquiétude de la page blanche ou du trou parce que j’ai des réserves, je continue à prendre des notes.

Hexagone : Pour le moment tu n’envisages pas d’avoir recours à un manager ?
N. Bacchus : Si, c’est une des raisons de ma venue à Paris. La presse et les partenaires. Manager ça recouvre beaucoup de choses. Il n’y en a pas deux qui se ressemblent et ils ne prennent pas tous les même responsabilités. Ce que je cherche à rencontrer, c’est quelqu’un qui me décharge d’une partie du travail administratif que je fais et qui me bouffe le temps de création entre autres. Je ne cherche pas cette personne à tout prix. A force de le faire, j’ai acquis un niveau de compétence. Il y a des gens qui s’intéressent à mon travail mais qui n’ont pas encore mis de billes dans l’affaire. Ce qu’il me faudrait, ça serait des gens qui s’investissent et qu’on fonctionne ensemble.

Hexagone : Tous les samedis de mars tu joues au Point Virgule à Paris à 17 heures. C’est ta première vraie scène parisienne ?
N. Bacchus : Non, mais c’est ma première en tant que parisien. Donc le premier endroit où je puisse être avec une permanence. Je suis déjà passé à Paris, tout comme je suis passé dans d’autres villes, en passant. Le Point Virgule, c’est la première scène où je vais être régulièrement. Pourquoi en mars ? Parce qu’il y a 5 samedis et donc c’était un bon choix… (rires)

Hexagone : Comment cette programmation est-elle arrivée ?
N. Bacchus : Le Point Virgule est un café-théâtre qui est mythique. Il est plus accès sur l’humour mais des gens qui appartiennent à la famille de chanteur dont je me revendique y sont passés : Les Blues Jean Society qui sont les anciens élèves de la compagnie du Chalet de Patrick Font, Sarclo… Des gens qui ne sont pas uniquement dans le burlesque-comique, mais qui ont des chansons dans différents styles. Les programmateurs sur Point-Virgule sont venus me voir à Avignon et m’ont retenu pour le créneau chanson tous les samedis à 17 heures. Pour donner toutes les raisons de cette programmation, ça n’est pas « j’ai eu la chance qu’ils viennent me voir à Avignon. » ça fait 4 ans que je leur envoie des dates de concert, des invitations, des disques.

Hexagone : On va t’y voir seul avec tes guitares ou bien en formation avec violoncelle et harmonica comme sur Balades ?
N. Bacchus : Je ne serai pas tout seul, c’est sûr. Trois fois sur cinq en duo avec une nouvelle violoncelliste, et une première présence féminine dans mon orchestre. L’harmoniciste viendra une fois ou deux et semble-t-il un des deux violoncellistes originaux.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Cette forme acoustique, c’est un choix essentiellement pratique et économique de n’avoir que sa guitare à balader pour se produire ou bien est-ce aussi un choix esthétique ? Dans la grande tradition des chansonniers ?
N. Bacchus : Quand j’ai commencé à chanter il y a 12 ans dans les bars avec mon frère à la trompette, c’était comme ça parce que je n’avais pas de matos.  Il est nécessaire d’amplifier quand il y a des disparités de son – si on met une batterie par exemple. Le spectacle a été amplifié il y a un an quand on a fait appel à des musiciens. Et l’acoustique est devenu un choix à ce moment là. Je préférais avoir des percus plutôt qu’une batterie, je préférais le violoncelle à la basse… J’aimais l’idée de décaler les instruments de leur utilisation originelle. C’est une chose que fait William Sheller, il fait jouer des parties de blues à des violons, des parties de violon à des guitares etc. J’aime ça chez lui, même si on ne participe pas du même univers. Ça donne un son acoustique, qui n’est pas forcément économique car dans une grande salle on ne peut se passer d’une sono et d’un ingénieur du son et d’un éclairagiste. Après un synthétiseur ne revient pas plus cher qu’un violoncelle.

Hexagone : Qu’attends-tu de ton passage au Point Virgule en terme de retombées ?
N. Bacchus : J’en attends beaucoup dans la mesure où c’est ma première scène en tant que parisien. J’arrive ici avec un nouvel album. C’est une des premières fois que des gens qui savent que j’existe de loin – parce qu’ils reçoivent des dates, des infos, des CD – auront la possibilité de me voir sur scène. J’espère que les gens « de la profession » viendront voir ce que c’est en pied. D’autant plus que les invitations sont soutenues pas Mysiane Ales, qui a fait un parcours sans faute de productrice indépendante avec Juliette et qui m’a gentiment prêté son nom pour ces invitations.

Hexagone : Balades va tourner combien de temps encore ?
N. Bacchus : Ca dépend des retombées qui vont arriver maintenant. Il y a quand même pas mal de chose qui se déclenchent, des gens s’y intéressent, que ce soit en presse ou en professionnels de la musique. Je peux continuer comme je l’ai fait jusque là, sortir un autre album dans 2 ans etc. Mais je n’ai pas envie de finir en chanteur aigris au bal des pompier de rinquinquin-mes-burnes. Je sais faire d’autres choses que chanter, j’en ai fait avant, j’en ferai d’autres. Même si ça reste dans le domaine de la musique, et que je fasse des chansons juste pour me marrer ou pour d’autres. Ce dont j’ai envie, c’est de me retourner chaque année et de me dire que quelque chose a évolué soit dans la qualité directe de ce que je fais, soit dans la reconnaissance que j’ai pu acquérir – qui est bien souvent très indépendante de cette qualité.

Hexagone : Comment envisages-tu la suite ? As-tu des projets, des envies particulières ? Un nouvel album, signer sur un label, etc. ?
N. Bacchus : Signer sur un label ne veut pas dire grand chose. Ça peut être distribué par un label, et j’ai déjà signé chez Mosaîc. Pour ce qui est de la production, c’est soit pour les concerts, soit pour les disques. L’auto-production des albums, j’y ai pris goût. Parce que tu est libre de ce que tu mets dessus, et dès que tu as le stock de disques, il t’appartient. Alors que quand tu as un producteur, c’est lui qui fabrique l’objet, c’est à dire qu’il passe commande à une usine de tant d’objets – ça reste des objets. Et ça lui appartient à lui. C’est à dire que toi, en tant qu’artiste, quand tu veux le filer à un copain ou à un amant ou à quelqu’un que tu rencontres dans un train, tu achètes ton disque au producteur. Et je peux vivre ça très mal si ça ne se passe pas très bien avec mon producteur.

Hexagone : Pour finir et mettre en bouche les lecteurs, tu as une guitare à disposition, nous ferais-tu le plaisir de nous offrir Intro, la chanson inédite qui ouvre ton spectacle ?
N. Bacchus : Elle a un statut un peu bizarre. Cette le premier texte que j’ai écrit en tant que vrai chanson à moi. J’avais toujours écrit des poèmes quand j’étais ado, des demi-chansons pleurnichardes etc. Et la première chose que j’ai écrite lorsque j’ai commencé à chanter sérieusement dans les restos à Toulouse, c’est cette chanson d’intro qui est un peu dans l’esprit du Steak de Maxime Leforestier, et de La Gibson de Sarclo. En fait, j’ai vraiment écrit ce texte en pensant à une chanson de Philippe Val qui s’appelle Le Sport. J’ai donc écrit cette chanson sur cet air là, en me disant qu’il serait toujours temps de trouver un autre air le moment venu. Mais la mélodie de Val était tellement adaptée que je l’ai gardée.

Propos recueillis par David Desreumaux
Photos : Flavie Girbal

Nicolas Bacchus : les 1, 8, 15, 22 et 29 mars 2003 au Point Virgule :
7, Rue Sainte Croix de la Bretonnerie
75004 PARIS
Réservations au : 01.42.78.67.0

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