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Détours de chant : Grand K ! d’un festival XXElles avec Ben Mazué

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Détours de chant (la suite). Sur l’article précédent, je te faisais un retour sur mes quatre concerts des deux premiers jours. Là, on continue sur les vendredi, samedi et dimanche de la première semaine mais j’ai déjà réduit le braquet : un seul concert par jour. Et à nouveau de l’éclectisme, de la qualité et la présence d’un nombreux public.


Ben Mazué 29 janvier au Centre Culturel Alban Minville (Toulouse).

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Mon troisième concert du spectacle 33 ans en dix mois. Et toujours le même plaisir. Un des très bons moments du festival Détours de chant. Un spectacle qui affichait complet une semaine avant. Si l’an passé j’ai demandé à « mes » Michelines (Charlotte et Marion) de faire un petit commentaire sur les concerts où je n’étais pas, ce coup-ci, ce sont elles qui écrivent sur un concert où j’étais présent (quel flemmard !) Voici leur prose, à quatre mains et un ou deux doigts de Michel.

« Ben Mazue en concert. C’est ce qu’il y avait écrit sur l’affiche, mais en fait, ce n’est pas vraiment un concert cette histoire, c’est bien plus que ça. Il chante, il joue de la guitare et des pédales, il est aussi accompagné par un pianiste. Mais ce ne sont pas que des chansons, c’est aussi du slam, du stand up et des sketchs. Tout ça condensé en une heure de spectacle étonnant et épatant. Si le format est multiple, le mec l’est aussi. On comprend vite que ses influences sont diverses, en gros ça va de Anne Sylvestre (et il nous offre une belle reprise de Les gens qui doutent) à Snoop Dog … (mais si, c’est possible ! et il nous chante le réjouissant Confessions d’un rap-addict). A travers ses chansons aux sonorités hiphop et ses slams il nous parle de lui, de ses rêves, de la vie, avec autodérision et élégance. Mazué a aussi un sens de l’observation très aiguisé. Il chante le répertoire de son dernier album 33 ans (son âge au moment de l’album). Il dresse le portrait de personnages à des moments différents, de 14 à 73 ans : 14 ans pour la première fois, 25 ans sur une dragueuse des soirées appart, 35 ans pour un premier bilan pas vraiment satisfaisant, 73 ans pour un retraité. Il retrace, avec justesse et délicatesse, pour chaque étape de la vie les doutes, les angoisses et les expériences. De quoi toucher le public pluri-générationnel de la soirée. Pour sûr qu’étaient présents tous les personnages décrits dans ses chansons !

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

A chaque fois, c’est bien vu et ça fait mouche. Comme dans les moments de stand-up, emplis d’humour et d’émotions : son discours lors qu’il reçoit un Grammy award pour son album ou encore son interview avec Rebecca Manzoni qu’il simule avec deux tasses de café à la main. Un moment particulièrement marquant, avec Vivant cette chanson qui s’adresse à sa mère décédée (« Je ne pallierai pas l’absence C’est tout le bien que je me souhaite De rappeler ton élégance aux gens  De faire tout pour que ça reste … vivant ».  »), et la lecture de la lettre écrite par sa mère du Paradis… Avec pudeur et finesse, Mazué réussit à nous émouvoir, à nous faire frissonner tout en nous faisant sourire. Le public, conquis par ce concert riche en belles émotions, se voit ravi lors d’un rappel où Ben propose d’interpréter les chansons que nous espérions entendre mais ne figurant pas dans la set-list. Pour notre plus grand plaisir, nous avons eu droit à L’Homme Modeste et à La Valse. Artiste généreux jusqu’au bout, il prendra le temps de discuter, de signer des affiches et prendre un bon nombre de selfies avec son public ! Non non, il n’y aura pas de photo de Mick et ses Michelines avec Ben, la file d’attente était beaucoup moins longue au bar … »

Qui dit festival dit parfois embouteillage de concerts. Et ce vendredi 29 janvier, pas moins de sept spectacles donnaient rendez vous aux spectateurs. J’ai dû me résigner à ne pas aller voir La Reine des aveugles qui pourtant fêtait sa sortie d’album. Et personne ne va t’en parler à ma place. Par contre Jacoti, un autre passionné de chansons, présent à beaucoup de concerts, te dit quelques mots d’un autre concert de ce vendredi qui illustre encore un peu plus l’aspect éclectisme du festival. Toctoctoc : L’ombre et la lumière à l’Espace Croix-Baragnon. « un laboratoire sonore et poétique » disait le programme.

« La vue des instruments posés sur scène attendant sagement l’entrée des artistes procure de légers picotements d’impatience. Deux accordéons diatoniques, une clarinette, une cornemuse et une vielle à roue suscitent indubitablement une interrogation quant aux sonorités qui pourraient s’en échapper. Les deux musiciens Stephane Milleret et Vincent Boniface s’emparent l’un de l’accordéon pour la rythmique de base et l’autre de sa clarinette pour les mélodies. La vielle à roue, elle, vient teinter les morceaux d’un son de cordes frottées à la manière d’un violon ainsi que d’une rythmique grattée grâce à une corde décrochée, produisant un grésillement de crécelle à mesure des coups de poignet sur la manivelle. Les morceaux se terminent en instrumental avec, la plupart du temps, l’arrivée en scène de la cornemuse qui ajoute au festif et au pittoresque traditionnel. On ne s’en lasse pas ! Sur les textes, la voix superbe d’Anne-Lise Foy n’est pas mise en valeur à sa juste mesure jusqu’à l’interprétation de T’es beau de Pauline Croze qui fait passer un délicieux frisson dans l’auditoire. Magnifique ! »

K! 30 janvier,  apéro concert au Théâtre du Grand Rond (Toulouse)

K! c’est Karina Duhamel. Avant, je l’ai vue deux fois, sur des prestations courtes : pour le Mégaphone tour en 2014 et pour le Pic d’Or à Tarbes en mai 2015. Seule en scène derrière son clavier et ses machines. Depuis elle a récemment joué les premières de son Fantastik show à l’Espace Jemmapes à Paris. Et même si à Toulouse elle n’a pas apporté tout le décorum ni les lumières pour ces cinq jours en apéro concert, son solo est devenu un véritable spectacle. Nous sommes le samedi, le dernier jour. Une salle de théâtre bien pleine.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Elle a toujours son clavier, son ordinateur mais encastrés dans un décor baroque, le bas caché par un rideau rouge. De l’autre côté de la scène : un petit jardin clôturé et intrigant. Elle arrive  un verre de rouge à la main ( « J’en profite, c’est pas tous les soirs que l’on peut picoler au théâtre » ), et démarre avec une chanson réaliste interprétée a capella et avec gouaille (« De pousser la chansonnette ben moi y a que ça qui me plaît » , « C’’est  l’amour qui remplit ma voix. » ) Puis elle se met derrière son clavier et enchaîne par « le plus laid de mes personnages : l’homme libellule », elle envoie ses sons et installe une ambiance mi cirque mi surréaliste. Nous voilà embarqués dans une sorte de cabaret fantastique. Une voix superbe avec laquelle elle joue, qui sait être puissante et forte, et qui peut aussi devenir douce. Elle joue aussi avec les sons, les bruits parfois inquiétants qu’elle sort de ses machines. Un univers particulier avec des ambiances et des personnages étranges, fantastiques : « mes monstres. » Une grande présence. On sent son évident plaisir à être sur scène, à interagir avec le public, à l’emmener où elle veut. Elle descend au milieu des spectateurs trouver un homme, elle parle à « la foule en délire du théâtre du grand Rond » et fait monter sur scène quelqu’un qui ne frappait pas dans ses mains au bon moment.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Entre autres histoires « barrées », sa chanson de scène L‘Adultère, histoire macabre mais joliment écrite et distillée où la chanteuse annonce avoir tué et rangé toutes les femmes croisées par son homme, chanson qui à chaque fois fait son effet sur le public. (« je suis désolée je n’ai pas le souvenir de toutes les filles que j’ai pu occire. ») Elle réussit, plusieurs fois, à faire rire sur un sujet plutôt glauque. Puis, elle livre une interprétation particulière et particulièrement réussie de Mon homme qui devient Mein mann. Elle passe parfois à l’anglais ou à l’allemand ce qui ajoute encore un peu plus à cette ambiance particulière.

Elle nous fait entendre les voix de Michel Simon et Serge Gainsbourg chanter l’Herbe tendre et en même temps, avec un arrosoir, elle fait surgir (plus que pousser) les coquelicots dans son jardinet. Elle continue par un superbe Assommoir, en grande partie a capella et devant ses fleurs. Puis K! se réinstalle derrière son clavier pour Le chemin et ses dernières paroles de sa dernière chanson sont « Je vais rentrer chez moi. » Le public reprend sa mélodie en chœur pendant qu’elle quitte la scène. Sur le rappel elle chante avec des chœurs un peu délirants « Mon amour a acheté une boîte à couper les gonzesses » et  « Y en a marre d’avoir les pieds à la place des fesses. »

Une prestation détonante donc. Du talent, de la personnalité. La(les deux) première(s) fois, le côté « électro et sons fabriqués » m’avaient un peu perturbé. Ce n’est plus le cas. Certainement grâce à la volonté de faire de ce concert un spectacle en utilisant un répertoire varié. Car des moments plus intimistes, voire une certaine tendresse, s’immiscent dans cet univers fort et parfois déjanté. Rêves ou cauchemars ? Rêves pour supporter la réalité ? Un concert qui nous touche, qui reste en tête. 

XXElles 31 janvier à l’Espace Job

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Un groupe de neuf artistes sur scène, c’est rare. Mais un groupe de neuf jeunes femmes c’est, pour moi, du jamais vu. Sur les neuf, j’en ai reconnu trois, déjà croisées dans des concerts plutôt typés chanson. Mélanie Buso, ici à la flûte traversière, et Maïlys Maronne, ici piano et clavier, étaient deux des trois Trompettasses Sisters. Un trio vocal a capella dont je me rappelle les concerts mémorables Chez ta mère il y a deux trois ans. Alice Besnard, ici une des trois voix, a été vue à Paris dans le duo Au creux de l’A pour la finale de Vive la reprise et récemment sur un Osons au Bijou. Mais là en cette fin d’après midi de dimanche nous sommes loin de la chanson. C’est du jazz et je ne vais pas – je ne peux pas – te faire un descriptif détaillé et technique du concert

Le teaser annonçait du jazz volcanique. Je craignais un peu l’éruption de sons, mais j’ai pris du plaisir. Plaisir à écouter, plaisir à regarder chaque duo musicienne-instrument et à ressentir une belle énergie. Même si ce n’est pas la musique que j’écoute tous les jours.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Je peux ajouter que le groupe (quasiment l’orchestre !) est composé de trois voix (j’ai failli dire chanteuses mais sans paroles compréhensibles peut-on parler de chanson ?), trois « souffleuses » (sax alto, sax soprano et flûte traversière) et trois «rythmiques» (contrebasse et basse, piano et clavier, batterie). J’ai trouvé le set tonique et énergique. Les compositions et arrangements valorisent le groupe et chacune des musiciennes nous montre son plaisir à jouer ensemble. J’ai apprécié la volonté de ne pas uniquement enchaîner des morceaux et de transformer ce concert en spectacle. Avec un moment  « en ombres chinoises » d’une jolie poésie. Avec un moment par binôme de musiciennes délaissant leur instrument pour des jeux et sons avec les mains. Un concert original. Je me surprends à avoir envie de revoir ce groupe talentueux dans quelque temps.

Et voilà, les cinq jours de la première semaine du festival sont passés. Sept concerts déjà. Sept salles pleines. Et déjà quelques regrets de ne pas avoir tout vu, comme par exemple la soirée du samedi Badaboum où cinq chœurs et chorales toulousains avaient rendez-vous, à la prestigieuse Halle aux Grains, pour une fête du chant avec parfois cent cinquante choristes sur scène. Mais on ne peut pas tout voir ! Je te dis à bientôt pour la suite de mes Détours de chant.


Nota : Un grand merci aux Michelines (Charlotte et Marion) ainsi qu’à Jacoti pour leur contribution appréciée.

PS : Je voudrai dédicacer cet article à une passionnée de chansons et habituée du Café Plum. Après quelques échanges facebookiens ces derniers mois sur la chanson et les artistes ce fut un grand plaisir, après le concert de Ben Mazué, d’avoir un échange « réel ». Merci Laeti pour ton énergie, ton amour de la vie et de la chanson.

Bruno Cariou. Neômme, label au bois dormant

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Cela fait une quinzaine d’années que le lyonnais Bruno Cariou a créé Neômme. Je l’ai rencontré et il raconte l’histoire de ce label, il présente également les 2 soirées prévues sur la scène d’A Thou Bout d’Chant, les 19 et 20 février, avec notamment Amélie-les-crayons, rencontrée pour Hexagone en décembre dernier. Au moment où cet entretien paraît, ces 2 concerts risquent bien d’être complets : avec un tel plateau, ça n’est pas vraiment une surprise. Bruno Cariou présente aussi ce qu’est devenu aujourd’hui le travail d’un label indépendant et comment il conçoit sa relation avec les artistes à une époque où les métiers de la musique sont contraints de se transformer pour faire face aux bouleversements du marché du disque.

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Photo Aurelie Raidron

Hexagone : Que faisais-tu Bruno avant de créer le label Neômme ?
Bruno Cariou : J’ai une maitrise d’Anglais et j’ai été prof pendant 8 ans.

Hexagone : Quand as-tu eu l’idée de créer un label ?
Bruno : J’avais un groupe au lycée puis à la fac, qui s’appelait Silvae. On avait monté une association vers 1990 pour faire des concerts, produire des albums, faire de la promo et de fil en aiguille l’asso s’est transformée en label. En 2001, j’ai rencontré Amélie les Crayons.

Hexagone : Comment s’est passée la rencontre?
Bruno : Je faisais du folk irlandais depuis longtemps dans les bars lyonnais. Il y avait un gars qui venait souvent faire de l’harmonica avec moi. Un jour, il me passe un disque et me dit « j’ai une copine qui fait ça ». Parfois sur les démos, tu as 1 bon morceau et 4 moyens. Là ils étaient tous à tomber ! J’ai donc rencontré Amélie, lui ai parlé du label, de ce qu’on pouvait faire et tout a démarré. Le véritable découvreur d’Amélie-les-crayons donc, c’est cet ami harmoniciste : Olivier Longre !

Hexagone : Et le succès est tout de suite arrivé ?
Bruno : J’ai organisé quelques concerts et chaque fois le public se multipliait par 2. C’était de la folie. Du coup les pros, les festivals, ont suivi assez vite. On a fait un petit disque en 2002, puis l’album Et Pourquoi les Crayons? en 2004. Ont suivi Bourges, Montauban et les tournées folles qu’on connait.

Hexagone : Comment devient-on artiste Neômme ?
Bruno : Il suffit d’envoyer un mail avec un lien vers de la musique. Les critères sont multiples : la qualité du truc, le style, le côté spécial, personnel. Le côté clair aussi. Je ne suis pas fan des trucs branchés tordus où finalement l’artiste ne parle qu’à lui-même.

Hexagone : Combien d’artistes as-tu maintenant dans ton label ?
Bruno : Il y a toujours Amélie. Et puis Sarah Mikovski, Morikan, Faik. Et bien sûr Olivier Longre et Doctor Flanagan ! Mais ce n’est plus vraiment un label dans le sens original du terme : Morikan, Sarah Mikovski et Faik par exemple ont produit eux-mêmes leur premier EP. Le label est devenu un accompagnateur d’artistes. On va faire travailler l’artiste un peu comme un éditeur au sens traditionnel du terme, gommer les défauts, améliorer les techniques, proposer des chemins possibles. Neômme est petit à petit devenu une structure d’accompagnement.

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Photo Aurelie Raidron

Hexagone : Les artistes arrivent chez toi avec leur propre EP ?
Bruno : Il sont leur premier producteur oui. Généralement, ils font leur EP comme ils le souhaitent et ils viennent ensuite me voir pour passer à l’étape suivante. Le format EP a ce rôle, et cette limite. Ensuite, soit tu continues à faire des EP, soit tu construis plus durablement un projet. Moi, je suis une sorte de déclencheur.

Hexagone : Il arrive un moment où il faut trouver de l’argent.
Bruno : Le label peut mettre de l’argent dans un projet pour des enregistrements, des résidences, payer des prestataires, faire un clip… Cet argent provient des ventes de disques ou MP3, des concerts, parfois des fans eux-mêmes (par le crowdfunding que nous n’avons jamais utilisé chez Neômme, mais qui est une nouvelle ressource). Il y a aussi des subventions pour la production de la SACEM, de l’ADAMI, et d’autres structures. La banque par contre, ne joue plus du tout le jeu, tu passes pour un guignol, même après 15 ans d’existence. Il y a l’artiste aussi. Chez Neômme, l’artiste joue vraiment son rôle d’éditeur et finance une partie de ses projets. Neômme ne prend pas d’édition. Donc les artistes touchent 100% de leurs droits. En général, les labels prennent l’édition (voire l’imposent) en prenant 30 à 50% des droits. Suite à la chute des ventes de supports, ils ont là une nouvelle source de revenus. La solution que j’ai choisie me permet d’impliquer les artistes, de les responsabiliser et de leur montrer comment ça se passe financièrement. Ils deviennent les acteurs économiques de leurs projets et on évite ainsi de séparer complètement le producteur de l’artiste. Ca crée pas mal de confiance aussi.

neomme_soiree1920Hexagone : Dans ce système le métier du producteur change mais aussi le métier de l’artiste.
Bruno : Oui tout à fait. L’artiste va être obligé de prendre en compte le coût d’un studio, d’un clip, des affiches d’un concert. L’artiste n’est plus dans son monde artistique uniquement et une structure comme Neômme sert aussi à lui expliquer le fonctionnement de tout le reste. Du coup, en cas de coup dur, tout le monde connaissant la mécanique en marche, comprend rapidement d’où vient le souci.

Hexagone : Peux-tu présenter brièvement les artistes Neômme qui seront sur la scène d’A Thou Bout d’Chant?
Bruno : Ils y seront tous en fait ! Evidemment Amélie-les-crayons, qui nous fait le plaisir de nous rejoindre pour ces deux soirées exceptionnelles et nous réserve quelques surprises ! Sarah Mikovski et sa pop optimiste ! Une écriture et une musique très joyeuse, éclatante ! Morikan, c’est aussi de la chanson mais dessinée sur un univers mélangeant world music et électronique, un côté fantastique donc ! Faïk c’est du folk /americana, romantique un peu, très mélodique en anglais avec des histoires de voyages à la façon « lonesome cow-boy », une voix unique aussi et une générosité contagieuse. Olivier Longre, c’est dans sa tête qu’il voyage, un vrai bricoleur sur de vrais instruments sans électronique. C’est de la musique instrumentale uniquement. Il fabrique des petits mondes qui me font penser aux musiques des westerns de Sergio Leone. Pour les concerts d’A Thou Bout d’Chant, chacun aura son propre univers instrumental et on va essayer de mélanger tout ça sur scène. Il y aura aussi et bien sûr Doctor Flanagan, trio farfelu de folk irlandais dont je fais partie avec Olivier et Guillaume Clary et aussi avec nous Clément Soto (Morikan) et Quentin Allemand aux percussions. On prépare ça au mieux même si on aimerait que ça reste le plus spontané possible. Il y aura des solos, des duos, des trios, des morceaux connus, des nouveaux, et pleins de moments qu’on n’imagine pas encore ! J’ai hâte d’y être !


A Thou Bout d’Chant, soirées Neômme vendredi 19 et samedi 20 à 20h30
Réservation sur le site 
ou par téléphone au 07 56 92 92 89 (nom et nombre de place à indiquer sur le répondeur)

Erwan Pinard, la bonne cote du Rhône

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Photo David Desreumaux

Quand les frimas de l’hiver te gratouillent la couenne et que ça pique tes doigts bleus comme un caillou, quand tu rêves d’une flambée à en perdre sa réalité, quand les rues ne sont plus que corridors et courants d’air et que la Seine assassine ses berges de sa dague brumeuse, le doute n’est plus permis : c’est l’hiver. C’est l’hiver ici comme ailleurs et ça caille à pas sortir un bonhomme de neige. N’étant ni bonhomme ni de neige j’osai le pied dehors. Avec Pinard comme antigel. Erwan Pinard, j’entends, écoute.

Je plante le décor. Ça se joue à La Scène du Canal – Espace Jemmapes. Soirée Microclimat. Te marre pas, c’est son vrai nom ! Microclimat est un dispositif, mis en place par Eclats Spectacle et La Scène du Canal, destiné à soutenir et accompagner les artistes de chanson francophone en début de carrière. Tu peux retrouver cette initiative un lundi par mois dans la salle du quai de Jemmapes. Ce lundi 15 février, deux garçons de la région lyonnaise se prêtaient à l’exercice. Yann-Gaël Poncet et Erwan Pinard. Une salle très clairsemée, limite chauve. On voit ici la difficulté à amener un public vers la découverte, on constate plus fortement encore à quel point il est difficile de faire chanter dans la capitale des artistes non « référencés » à Paris. C’est dommage que des talents comme ceux présentés ce soir ne soient pas plus et mieux vus.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Dommage car le spectacle était de qualité. Deux sets très différents, deux artistes très singuliers. Yann-Gaël Poncet, en vedette américaine, a chanté quelques chansons-témoignage d’une oeuvre aussi particulière qu’intéressante. Musicien fort doué, il s’accompagne tantôt de son violon, tantôt de sa guitare et est soutenu aux claviers et autres bruits et bruissements par un acolyte dont le nom m’échappe. Désolé. Poncet développe un univers où l’imaginaire et le voyage tiennent une place de choix, univers porté par une virtuosité musicale indéniable où l’on perçoit la formation classique et jazz de l’artiste.

Pinard à présent. C’est pas de la piquette. Je me déplaçais pour lui. Yves l’avait interviewé récemment, Fredéric Bobin m’en disait le plus grand bien depuis un moment, j’avais reçu et écouté son nouvel album, Obsolescence programmée, qui sortira le 19 février. J’avais apprécié. J’avais très envie et hâte de découvrir le gaillard sur les planches. Pour moi, le Pinard était obligatoire. Et je ne m’en suis pas privé.

C’est essentiellement cet album beau joli nouveau que Pinard a fait couler. Pinard est un personnage étonnant. Atypique dans le milieu de la chanson. Le genre de personnages qui ne sont pas légion, qui visitent la chanson avec une caisse à outils assez différente de celle des confrères. Grand et massif, la barbe hirsute, Erwan Pinard impressionne à ses entrées sur scène. Oui, j’emploie le pluriel à dessein car, singeant avoir raté son entrée, il la rejoue plusieurs fois. On est dans le bain. Ce ne sera pas un set de chansons comme un autre.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Quelques baratins, quelques semblants d’énervements puis d’introspections. Tout ça en guise d’introductions à des chansons souvent biaisées, faussement mal biaisées, dans lesquelles Pinard charrie la mélasse crotteuse de la vie pour en faire jaillir les sentiments. La réalité semble grimée, couverte d’un voile tantôt baroque, parfois farouche et volontairement absurde. Le mot est habillé même quand il sort cru et pas aussi malveillant qu’il ne le laisse paraître : « T’en fais pas / Je reviendrai encore / prendre de tes nouvelles / afin de m’assurer que tu ne vas pas bien / Je t’écrirai encore / Des « Je t’aime » en vers et en vain. / Mais comment écrit-on « Je t’aime » déjà ? / Comme ça se prononce / P-e-t-i-t-e plus loin c-o deux n -e / J’élabore / Mais d’abord je fume / Et ça n’arrangera rien / Et ça n’arrangera rien / Alors c’est décidé : j’arrête de fumer » sur J’élabore où la rupture amoureuse fait passer les mots par dessus bord, déborde la pensée. Ne t’y trompe pas Hexagonaute, on n’est pas ici dans du règlement de compte. Ou alors avec soi-même.

C’est ça Erwan Pinard. Un sentimental qui brouille les pistes, décale la réalité, met son quotidien de prof-chanteur en scène, pour ne pas se laisser perdre dans une société labyrinthe. De l’humour, de l’humour. Il n’en manque pas le garçon et en use à l’envi pour présenter Centre-ville, par exemple, un tube à Lyon, dit-il, qui parle de poteaux repeints. Il fait chanter le public sur le Les queues de poisson, autre naufrage d’un éternel looser en amour, d’un punk sentimental. « Je t’aime à l’ancienne et j’ai tout mon temps / Et sous tes persiennes j’attends comme un gland / Ton apparition, j’attends comme un con / Que tu daignes enfin corriger ce refrain / Les queues de poissons tombent à l’eau de boudin. »

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Du texte, de la dégaine, du jeu de scène, je t’ai vendu tout ça déjà. Je ne ferais pas mon boulot correctement si j’omettais de te parler des talents de guitariste de Pinard. La formule est minimale, parfois minimaliste lorsqu’il n’égrène que quelques notes pour dire ses textes plus que pour les chanter. Et parfois, ça groove sérieux et dynamique quand il pousse la rythmique sur sa petite Martin 000X1 AE, et que d’un battement de pied amplifié il fait les percus en tambourinant à même le sol. C’est simple et néanmoins très efficace. A l’image du bonhomme.


Selim s’affirme à la Maroquinerie

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Le faciès de Selim te dit quelque chose ? Sa voix aussi ? Oui, je le vois bien à ta tête, tes sourcils se froncent, tu cherches, tu tiques, tes yeux s’éclairent, tu le reconnais presque… Je te le donne en mille : Joseph Chédid, alias Selim, membre de cette famille si connue pour son débordement de talents. Loin de moi l’idée de vouloir faire des comparaisons, car j’estime qu’ils sont tous des artistes, même s’ils ont des univers qui se croisent, se rapprochent, se rencontrent. Pas étonnant, quand on a été biberonné au Louis Chédid, il y a forcément quelque chose qui ressort. Il y a deux ans, Selim assurait déjà les premières parties de son frère pour le tour « Îls ». Ce mercredi 10 février il a rempli la Maroquinerie.

Photo Déborah Galopin
Photo Déborah Galopin

Selim arrive sur scène accompagné de ses musiciens : batteur, bassiste, guitariste. Formation somme toute classique, mais toujours efficace quand il s’agit de Rock. Et comme il l’affiche fièrement sur son tee-shirt noir aux lettres rouges, il compte bien transformer la Maroquinerie en Maison Rock ! A peine, fait-il son apparition qu’un « Selim, on t’aime » fuse. De toute évidence, nous sommes plusieurs à attendre impatiemment ce moment. Ca commence plutôt calmement avec un nouveau titre Source, mais qui ouvre naturellement le set avec ce refrain : « Ouvre le robinet de ta créativité. » Alors qu’on pense le morceau sur le point de se terminer, il nous leurre en accélérant la rythmique. Voilà qui annonce dignement le ton de la soirée : hors de question que le public reste statique ! Si sur le second titre, la fosse manque d’enthousiasme cherchant à se familiariser avec ce nouveau son, le coche est vite rattrapé quand il s’attaque à des morceaux de son album. Ode aux envies ambiance le public, Les sirènes le fait littéralement bouger et délie les bouches. Spots rouges et sirène lumineuse façon sapeur pompier, nous plongent dans l’atmosphère de sa chanson.

Photo Déborah Galopin
Photo Déborah Galopin

Moment émotion lorsqu’il chante seul accompagné de son éléctro-accoustique Danseur Mondain. Il nous confie qu’elle a été écrite par un artiste qu’il aime beaucoup et qui est présent ce soir. Il ne s’agit de personne d’autre que de Louis Chedid. « J’suis comme une bulle de savon / Un petit point sans horizon / Un ticket d’aller sans retour / Pour dire bonjour. / J’suis comme un funambule / Qu’aurait avalé une pendule / Un cœur de plus / Qui fait boum boum / Parmi la foule. » Y’a pas à dire c’est vraiment beau : une simplicité touchante, évoquant quelque chose de précieux et fragile. Il enchaîne avec L’infini, nous offrant une nouvelle version pour le moins inédite et unique ! Le son de sa guitare se fait fainéant et décide de prendre congé. Pas de panique : Selim continue d’assurer le show ! Il se débarrasse de la traîtresse et termine le morceau a cappella. « Ok les gars, c’est reparti, » s’exclame-t-il, pas déstabilisé une seconde. Le public le porte et le soutient, chante, danse et l’accompagne à la mano aux percutions. Selim le soulève d’un regain d’énergie en répétant « Puisqu’il y a autour de moi / Ce qu’il y a autour de moi / pourquoi ne vois-tu pas ? ». Une belle union entre la salle et la scène, qui prouve le professionnalisme de l’artiste capable d’improviser en toute situation. Des ratés comme ceux-là on en veut bien encore !

Photo Déborah Galopin
Photo Déborah Galopin

Selim sait chauffer son public, mais aussi se rendre sensible et proche de lui  en s’affranchissant de la barrière de l’estrade. Sur Soleil, il invite un fan sur scène pour danser. Il propose à d’autres de se joindre à lui, mais intimidé, le premier rang se contentera de hocher de la tête par la négative. ‘Faut dire, on se sent un peu complexé lorsqu’on admire le fan se mouvoir dans des gestes à la fois fluides et saccadés. Il faudra écouter plusieurs fois le nouveau titre Dévoilez-vous qui s’adresse aux timides pour s’affranchir de nos propres appréhensions. Mais si ce n’est pas nous qui venons à Selim, c’est Selim qui vient à nous. Il finit en rappel sur La mer et la lune. Il descend des planches et s’avance dans le cercle de la Maroquinerie pour danser avec nous. Voilà qui clôture dignement ce concert.

Dans Ode aux envies, il affirmait vouloir  : « Être un grand musicien / Avoir plein de projets / Et me réinventer / Toucher les gens / Ne jamais perdre mes racines / Trouver ou m’affirmer. » De ce qu’on en a vu, c’est un pari réussi pour Selim et même si la liste est encore longue, il est en bon chemin pour s’accomplir.


Pierre Lebelâge fête la sortie de son premier album « Babel », aux Trois Baudets

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Pierre Lebelâge, je l’ai découvert d’abord avec son album que quelques chroniqueurs avaient signalé avec enthousiasme réjouissant. Je l’ai vu ensuite sur la scène d’A Thou Bout d’Chant à Lyon. Il est rare, surtout chez un tout jeune artiste, de trouver tout de suite une telle concordance dans la réussite de l’album et de la scène. J’avais beaucoup de questions à lui poser et, à la veille de 2 beaux rendez-vous sur les scènes parisiennes, il a accepté d’y répondre…

Pierre-lebelage-2016-02-13-@-153Hexagone : Quels ont été tes premiers pas dans la musique ?
Pierre Lebelâge : J’ai appris la guitare tout seul, vers l’age de 15 ans, en parfait autodidacte sur une vieille guitare classique qui avait appartenu à ma tante et qui trainait chez ma grand-mère. J’étais d’une telle inculture en matière de musique que je ne savais même pas qu’il fallait accorder l’instrument. Je passais mon temps à gratter et à inventer des musiques en posant les doigts sur le manche et en mémorisant les positions de doigts qui créaient des sons harmonieux. Plus tard j’ai rencontré un pote musicien qui faisait le conservatoire et qui m’a lancé le sourire en coin quand je lui ai joué mes compositions: « t’es au courant qu’une guitare ça s’accorde ? Mi la ré sol si mi (les 6 cordes à vide de la guitare) ça te dit quelque chose ? » Il m’a filé un accordeur et le song book des Beatles (je n’écoutais que ça à l’époque) sur lequel on trouvait les diagrammes des accords utilisés. J’ai alors passé des mois à réapprendre la guitare de façon un peu plus conventionnelle en travaillant le répertoire des Fab Four. Plus tard j’ai accompagné un cousin, le seul musicien de la famille, un personnage qui faisait figure d’original et dont parlaient les anciens dans les repas de famille sur un ton un peu moqueur. C’était un formidable harmoniciste qui s’accompagnait très bien à la guitare et qui faisait la manche à la terrasse des bistrots. Il jouait des standards de jazz et de Bossa Nova qu’il me faisait étudier. J’en apprenais les accords compliqués aux sonorités nouvelles que je n’avais jamais entendues dans la Pop anglaise.

Hexagone : Comment es-tu devenu chanteur ?
Pierre : Dans ma famille on ne chantait pas. On ne jouait pas de musique non plus en dehors de ce cousin éloigné avec qui j’ai pris contact et lié amitié bien plus tard quand j’ai commencé à m’intéresser à la guitare. Je dois avouer que ça n’a jamais été une véritable vocation chez moi de chanter. J’étais un garçon pudique et très réservé, avec une timidité pas piquée des coccinelles comme on dit. Enfant je n’étais pas du genre à singer le chanteur à la mode devant le miroir de la salle de bain avec la brosse à cheveux de ma mère en guise de micro imaginaire. Autant dire que je partais avec un sérieux handicap ! Lorsque je suis monté à Paris avec mes premières chansons, il y a environ quatre ans de cela, pour participer à la finale du concours « Vive la reprise » auquel ma femme m’avait inscrit, je pensais surtout proposer mes titres à des interprètes. Ce soir-là j’ai été remarqué par mon producteur Didier Pascalis qui m’a proposé de signer un contrat d’enregistrement et de produire ce qui allait devenir Babel, mon premier album. Je me rappelle de son étonnement quand je lui ai annoncé que je ne voulais pas chanter. Il m’a dit : « Tes chansons sont très personnelles. Tu as un univers atypique et décalé qui ressemble à ton personnage. On sent très bien que tu racontes ta vie dans tes chansons. En plus de cette singularité tu as une timbre de voix vraiment particulier. Pour moi c’est une évidence, c’est toi qui dois défendre tes textes. »

Pierre-lebelage-2016-02-13-@-185Hexagone : Quand et comment as-tu écrit tes premières chansons ?
Pierre : J’ai écrit ma première chanson, Le Cas Sandra, il y a environ cinq ans pour illustrer une séquence du court métrage d’une amie qui m’avait alors demandé d’en composer la musique. Comme je n’y arrivais pas, j’ai essayé de contourner le problème en racontant le film sous la forme d’une chanson. C’était la première fois que j’écrivais des paroles et cette expérience nouvelle m’a beaucoup plu. J’avais déjà mis en musique les textes d’un ami avec qui je jouais dans un groupe de reprises ainsi que des poèmes de Tristan Corbière et de Clément Marot, mais je n’avais jamais vraiment eu l’idée d’écrire des textes personnels pour les mettre en musique avant ça. Le court métrage n’a pas été primé mais quelques mois après j’ai eu la surprise d’entendre ma chanson sur les ondes de plusieurs radios associatives qui avaient isolé le titre de la bande son pour le diffuser malgré une qualité d’enregistrement des plus médiocres. J’avais enregistré ça sur mon ordi avec un micro que j’avais emprunté au club du troisième age de mon patelin ; un vieux micro plein de poussière et cabossé qui n’avait jamais servi qu’à annoncer les chiffres gagnants lors des soirées loto de mon village. C’est ce petit succès inattendu qui m’a encouragé à écrire d’autres chansons.

Hexagone : Te souviens-tu de ta première scène
Pierre : La première fois que je suis monté sur scène pour chanter mes chansons, c’était au théatre de la Rencontre de Perpignan, je ne risque pas de l’oublier. J’allais aux soirées poésie organisées par le Cercle des Authentiques Cabochards de l’If d’Elne, un groupe d’artistes plasticiens, d’écrivains et de poètes qui a publié pendant près de quinze ans une revue formidable appelée La Licorne d’Hannibal (aujourd’hui cette revue existe sous la forme d’un blog. Ils savaient que j’écrivais des chansons mais comme je n’osais pas les chanter lors de ces soirées personne ne savait vraiment à quoi elles ressemblaient. Un jour, mon ami le peintre Gilbert Desclaux m’a dit : « Avec la revue on va louer un petit théatre pour organiser une soirée chanson dans un mois. » Je lui ai répondu que c’était une très bonne idée mais quand je lui ai demandé qui allait y chanter il m’a lancé en tirant sur sa pipe :  » Ben toi ! «  puis après un long silence : « Comme ça au moins on pourra les entendre tes chansons ! » C’était un vrai traquenard mais c’était fait avec une telle générosité de leur part que je ne pouvais pas refuser.

Je me rappelle avoir eu la trouille de ma vie ! Je comptais les jours qui me séparaient du concert fatidique en me disant que je n’y arriverais pas. J’ai partagé la scène avec trois autres auteurs compositeurs interprètes ce soir-là. Le concert s’est bien passé et j’en garde un souvenir très ému. Quelques mois après, je partais pour la finale du concours Vive la reprise.

Pierre-lebelage-2016-02-13-@-159Hexagone : Quelles sont les rencontres marquantes que tu as faites depuis que tu es dans le métier ?
Pierre : C’est indéniablement Allain Leprest qui m’a le plus marqué. J’ai eu la chance de faire quelques unes de ses premières parties. Je n’ai que très peu échangé avec lui. Je me contentais de l’écouter et cela m’allait très bien car le bonhomme était impressionnant. Je l’ai beaucoup observé aussi sur scène. C’était fascinant à chaque fois. Allain était un magicien des mots, un très grand poète. Chaque fois que je le rencontrais je savais que j’étais en présence d’un géant ; j’avais l’impression de passer une après-midi avec Verlaine ou Baudelaire.

Hexagone : Peux-tu me raconter l’histoire de ton premier album ?
Pierre : Après Vive la reprise, j’ai enregistré mes quatre premières chansons en guitare voix chez mon producteur Didier Pascalis. Par la suite il m’a présenté Thierry Garcia qui avait aimé les maquettes et qui avait envie de faire les arrangements. On a longtemps discuté des sons et des disques que j’aimais (ceux de Thomas Fersen et de Mathieu Boogaerts). Jusque là on avait surtout mis l’accent sur mes textes. Thierry est le premier à avoir souligné le coté mélodique, presque pop, de mes chansons et à écrire les arrangements dans ce sens-là. J’ai pris mon temps pour écrire toutes les chansons de l’album, patiemment. Lorsque je revenais à Paris pour faire des premières parties, j’en profitais pour enregistrer une ou deux nouvelles chansons toujours en guitare voix et Thierry les habillait au fur et à mesure. Il m’envoyait ses propositions et je validais ce qui me plaisait. Comme c’était un premier disque l’équipe souhaitait ouvrir le plus possible musicalement. De très bons musiciens ont participé à l’enregistrement, des gens comme Tony Ballester et Didier Guazzo pour ne citer qu’eux et qui ont joué sur tant de disques que j’écoutais plus jeune. Sans oublier Thierry Garcia, dont la réputation n’est plus à faire, aux guitares.

Pierre-lebelage-2016-02-13-@-164Hexagone : Es-tu satisfait de la façon dont il a été reçu ?
Pierre : Le disque a tardé à sortir car les premiers retours étaient mitigés. J’avais attiré l’attention des gens du métier comme Claude Lemesle et Maxime Le Forestier qui me reconnaissaient un vrai talent d’auteur mais les médias ne nous suivaient pas. Les radios qui avaient reçu une version 5 titres de l’album ne croyaient pas au projet. Lorsqu’elles répondaient c’était pour dire que les chansons étaient atypiques et l’univers trop décalé, pas dans l’air du temps et souvent que c’était trop littéraire pour passer sur leurs ondes. On est resté comme ça pendant un an à attendre qu’il se passe quelque chose. Une grosse période de doute pour moi. Mon producteur me disait : « Tout va bien Pierrot ! On change rien. Continue à écrire. Y a juste à attendre qu’ils s’habituent à ton style ! » Lorsque Philippe Meyer a passé « Quelle mouche a piqué mémé » dans son émission sur France Inter, ça a changé un peu la donne. L’après-midi on recevait pas mal de messages d’auditeurs qui demandaient où on pouvait se procurer le disque. On a alors décidé de le sortir en se passant du soutien médiatique qui nous faisait défaut. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de véritable sortie d’album à ce moment-là. Le distributeur en a placé chez les disquaires et le bouche à oreille à commencé à se faire. Quand les disquaires l’ont rappelé pour recommander des exemplaires on a compris qu’on commençait à toucher un autre public que celui qui m’avait entendu sur scène. Deux mois après, on a eu la belle surprise d’entrer dans le classement des radios Quota, un ensemble de 17 radios locales et associatives qui, depuis vingt ans, ne diffuse que de la chanson francophone et où des artistes autoproduits côtoient des artistes plus renommés. Ils nous ont écrit pour nous dire qu’ils souhaitaient programmer cinq titres de l’album sur leurs ondes. Les programmateurs adoraient le disque. Je suis entré directement à la cinquième place du classement. Deux mois après j’étais l’artiste le plus diffusé des radios Quota ; j’ai occupé la première place pendant huit mois consécutifs. C’était une vrai récompense pour nous, pour toute l’équipe de TACET (ma maison de disque) qui croyait au projet depuis le début.

Hexagone : Peux-tu nous parler de tes 2 concerts parisiens de février ?
Pierre : Le 15 février j’aurai le plaisir de chanter à la Cigale en première partie de Mec !, le spectacle de Philippe Torreton dans lequel il dit les textes d’Allain Leprest.
Le 19 février je jouerai l’intégralité de mon album aux Trois Baudets, dans une toute nouvelle formule (avec Johanne Mathaly au violoncelle et Eliott Weingand à la guitare électrique). J’adore cette salle. Les fauteuils y sont rouges et confortables et on a prévu quelques surprises. Bref ce sera comme chez Drucker mais en mieux !

Beau comme Les P’tits Gars Laids à l’Antipode

Je n’ai découvert que récemment Les P’tits Gars Laids. Après avoir écouté quelques titres, j’ai eu envie de creuser un peu plus, et d’aller les voir sur scène. Coup de chance, le groupe niçois annonçait alors son passage à Paris pour 3 dates (le 10 février à l’Antipode, le 11 au Zèbre de Belleville et le 13 à l’Anecdote).

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Photo Marie-Hélène Blanchet

Les P’tits Gars Laids, ce sont quatre copains. François chante, joue de la guitare et de l’accordéon, Rano est lui aussi chanteur et guitariste, JD est à la contrebasse et Romain au cajon (et à la guitare pour un morceau). Ils viennent de sortir début février leur 3ème disque, Le temps de l’allumette. La première chose qui saute aux yeux quand on les voit sur scène, c’est leur énergie débordante et leur plaisir de faire et de partager la musique ! Et rien que ça déjà, je peux vous dire que ça fait bien ! Ensuite, on écoute plus attentivement, les textes, les arrangements. Et on se rend compte que rien n’est laissé au hasard. Musicalement, ça marche grave ! Des moments rythmés au moment plus doux, de l’énergie débordante à la subtilité d’un silence, l’équilibre fonctionne parfaitement. La complicité des quatre compères est flagrante, et leur naturel dégage très vite une chouette ambiance.

Dans leur répertoire, on trouve des chansons festives ok, mais pas que. Il faut écouter les mots, des mots qui en disent long sur beaucoup de choses. Le concert commence d’ailleurs par Le jour se lève, qui est je trouve, une très belle introduction. « Ceux qui ont tellement rêvé qu’ils en ont perdu le sommeil, le jour se lève il est à toi, ton destin est entre tes doigts. Ceux qui voient la réalité se faire plus lourde à chaque réveil, le jour se lève il est grand temps de faire de ta cause un combat… »

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Photo Marie-Hélène Blanchet
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Photo Marie-Hélène Blanchet

La fraîcheur et les nuances des mélodies portent de jolie manière des textes à écouter attentivement pour en comprendre tout le sens. La plume est habile, et fait passer de beaux messages sur la vie à qui saura les écouter. « Quitte à mourir un jour, autant avoir vécu avant, sans mettre de côté ce qui t’entoure. Les p’tits détails sont les plus grands… » nous rappellent-ils par exemple dans Faute d’inattention. Des chansons qui disent des choses, mais aussi et surtout je dirais même qui transmettent un vent d’optimisme. « Ce soir je chante une chanson, pour dire qu’on est encore vivant, que le vent souffle et pas qu’un peu, et qu’il nous reste encore du temps, pour vivre bien, pour vivre heureux… » Sur scène, ça chante, ça joue, ça rit, ça vit quoi ! Et dans la salle aussi ! Tout le monde se laisse vite emporter par cette énergie communicative. La setlist est longue, ils sont généreux ces p’tits gars, mais au milieu des tous ces titres, il y en a deux que je tiens à souligner. Tout d’abord, Mon père, que je trouve vraiment sublime. Tant par ce qu’elle dit, que par la façon dont c’est dit. Elle te colle la chair de poule, le regard qui brille, et puis le sourire au coin des lèvres. Cette chanson, elle fait partie de celles qui ont ce truc en plus, de celles qui te marquent dès la première écoute. Non, pour celle-là, je ne vous citerai pas d’extrait, allez l’écouter. Ensuite, il y a L’allumette, parce qu’elle donne envie de la suivre, cette lueur d’allumette. « On pensait que changer l’monde, c’était que des histoires pour qu’on croit aux colombes. Mais quand je vois, ces gens qui lâchent rien, qu’acceptent pas les mensonges qu’on leur jette à la tête. J’me dis qui s’pourrait qu’apparaisse demain, un incendie né d’une petite allumette… ».

La soirée passe sans qu’on s’en rende compte, le rappel arrive trop vite. La contrebasse prend place dans la salle, le temps de faire le titre, T’as beau dire en acoustique au milieu du public. Un joli moment comme ces petites salles intimistes peuvent en offrir.

Pour conclure, je ne peux que dire que ces P’tits Gars Laids, ils m’ont très agréablement surprise. Et que se sont des artistes authentiques, à écouter et à aller voir sur scène !



Détours de chant : c’est Super et c’est Jehan !

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Un petit retour sur les deux premiers jours de la quinzième édition du festival Détours de Chant. De l’éclectisme, de la qualité et la présence d’un nombreux public : un beau démarrage.

Mercredi 27 – 18h 30 dans le hall du Centre culturel Alban-Minville

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Mamzel Bou pour un Concert sans gluten. Comme toujours pour les concerts de 18h30, accueil sympathique du personnel du centre avec cacahuètes et boisson offertes. En tenue de marmiton, Mamzel Bou, acceuillante et enjouée, distribue son menu en parlant aux spectateurs puis joue à la cuisinière mélomane. Elle nous a préparé un repas copieux. Les hors-d’œuvres se révèlent être des chansons connues, des recettes déjà existantes, revisitées qu’elle assaisonne à sa façon : sauce gouaille pour l’extrait de Mon amant de Saint Jean, un meunier qui dort à la sauce Camille, un frère Jack façon Philippe Katerine. Elle termine les hors-d’oeuvres en jouant le rôle d’une chanteuse à voix et à vibrato servant de la soupe de variété pour laquelle elle se change et apparaît sensuelle en rouge, sans coiffe. Les plats, eux, sont des recettes inventées, textes et compositions de Mamzel Bou (de son vrai nom Bouniort Marlène) joués principalement au piano. Et le spectacle prend une autre couleur plutôt chansons sentimentales et ballades ; la comédienne et son humour s’effaçant devant l’auteur et la pianiste.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Les desserts arrivent et on s’aperçoit que cette comédienne chanteuse auteur musicienne (ouf !) présente, en fait, trois spectacles en un.

Cette dernière partie s’oriente désormais vers un voyage couleur musique et chants du monde. Mamzel Bou nous promène de la Grèce à l’Inde en passant par Madasgacar, une maloya de l’île de la réunion et la Yougoslavie. Multi instrumentiste, elle utilise son clavier, les pédales de boucle qu’elle maîtrise, une shruti Box – instrument à soufflet d’origine indien – et des flûtes mais aussi des petites percussions, parfois surprenantes comme des couvercles Tupperware.

Mamzel Bou montre qu’elle est capable de beaucoup (de trop ?), de tout chanter du lyrique à la variété en passant par les chants du monde, de tout jouer. Elle peut interpréter de façon plus personnelle un plat à une personne désignée de l’auditoire. Cette mise en bouche du festival devient un menu très copieux avec six entrées, six plats, six desserts. Et elle nous a permis de découvrir un vrai talent.

21h30 au Bijou. Didier Super Ta vie sera plus moche que la mienne.

affiche-Didier-super-Conte« Mon spectacle pour les tout petits réservé aux adultes »Annoncé comme un nouveau spectacle solo alors que je l’ai déjà vu en juillet 2014 son spectacle tape fort sur ses cibles habituelles : la religion, les femmes, le pouvoir, les enfants, le public. Peut être encore un peu plus fort. Le décor : un rideau style théâtre de marionnettes, pour raconter une fable. Agrémenté d’une musique pour enfant, d’une poupée gonflable censée représenter la fée, des grandes photos d’enfants squelettiques, d’un chien en jouet. Un décor qu’il se complait à jeter, à détruire laissant la scène, à la fin du spectacle, comme un champ après la bataille. Didier Super fait du Didier Super. Caricatural quand il joue Ludovic l’enfant et Youppee le clown. L’histoire est entrecoupée de chansons avec une petite guitare souvent désaccordée, des textes qui ne riment pas et il chante faux. Sa première chanson c’est Suicide toi ! et il terminera, évoquant les récents attentats, par Boum, quand ton corps fait boum … et le départ de son voisin Pierre Alexandre pour le djihad. Il fait chanter au public « A mort les racistes, à mort les intolérants. Ces gens là ne sont pas comme nous Vivement qu’on les foute dans des camps ! » Un spectacle mélange de provocation, de grosses ficelles et de réflexions plus subtiles, mené avec un grand sens de la gestion du public et de l’interactivité maîtrisée. Ce soir au Bijou un public mélangé, avec une partie de son auditoire habituel plutôt jeune et aussi pas mal « de têtes grisonnantes » caractéristiques du public chanson. C’est peut être pour cela qu’il dira « Quand tu pars d’un spectacle de Didier Super, surpris d’être déçu c’est que tu n’étais pas bien renseigné. » Et qu’en rappel, il viendra, assis sur une chaise, parler du personnage et du comédien : « Tout le monde a bien compris que Didier n’existe pas, que ce n’est qu’un personnage »

Je fais partie des gens qui aiment bien Didier Super. Et je ris beaucoup à ses spectacles. Je salue le talent du comédien, de l’auteur qui se sert de la forme pour faire passer un fond assez osé car peu (pas) d’humoristes vont aussi loin désormais. J’apprécie son expérience du théâtre de rue et de la proximité. Je salue la dose de dérision et d’auto dérision présente et nécessaire pour ce type de spectacle. Ah, une dernière information le concert affichait complet pour les trois soirs avant l’ouverture du festival.

Jeudi 28 janvier LizzieLa pause musicale – Salle du Sénéchal 12h30 en centre ville.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

La Pause musicale, rendez vous mensuel du jeudi à la mi-journée pour des découvertes musicales, est devenue une institution avec ses habitués et sa salle municipale remplie. Arrivé vingt-cinq minutes avant le concert j’ai trouvé une des dernières places… sur les escaliers. Les suivants resteront dehors. Lizzie avait chanté aux Coups de pousses du festival trois ans plus tôt. Ce jeudi là, elle est venue en trio bien accompagnée à la guitare portugaise au son particulier et à la contrebasse. Assise, elle joue de la guitare et enchaîne les chansons de son album Navigante, sorti l’an passé. Avec sa superbe voix particulière et ses mélodies originales, elle nous embarque dans ses voyages intimes comme Je navigue («Je navigue au dessus du vide ») ou comme La falaise Il faut que je saute / J’aimerai déployer les ailes de ma tristesse »). Textes mélancoliques mais d’une mélancolie calme et douce. Du fado folk à la française. Elle chante principalement quasi exclusivement en français, le délaisse parfois pour une chanson folk en anglais et deux chansons en portugais. En portugais, langue qu’elle dit avoir appris, on la sent devenir elle-même en chanteuse de fado. A un moment, elle quitte la guitare et ses musiciens pour deux chansons en accordéon solo. Nous venons de vivre un moment suspendu, en plein milieu de journée, partageant les émotions de la chanteuse. Agréable et reposant. Elle finit en rappel par Saudade, nom et chanson bien caractéristiques de son univers. Elle présente la saudade comme « un sentiment qui mélange la mélancolie, le plaisir, la nostalgie et l’envie. » Cette heure sur scène donne envie d’écouter l’album que certains toulousains, qui la découvraient, se sont empressés d’acheter à la fin du concert.

Jehan & Lionnel Suarez 20h30 à l’ Auditorium Saint-Pierre des Cuisines pour  Pacifiste inconnu.

Joe Kangourou
Photo : Joe Kangourou

Les quatre cent places sont occupées. A nouveau un spectacle complet : un joli pari gagné pour les organisateurs de Détours de Chant. La chorale Voix Express, en première partie, nous propose, quatre chansons avec, en alternance comme chef de cœur ou musicien au clavier, Hervé Suhubiette et Lucas Lemauff. Quatre chansons dont deux de Leprest. En guise de vin d’apéritif, la chorale d’une cinquantaine de membres nous débouche une superbe version de Le temps de finir la bouteille, bien gouleyante.

Ce festival nous offre un beau rendez-vous avec Jehan et Leprest. A Toulouse, Jehan est bien connu pour ses grandes qualités d’interprète, vantées en son temps par Claude Nougaro. Un rendez-vous retrouvailles de cet ancien habitant toulousain avec son (ancien) public, à l’époque où il enchantait Dimey. Ah le Live Dimey, enregistré à Toulouse, déjà à l’époque avec Lionel Suarez, est un des mes albums de chevet que j’ai toujours plaisir à réécouter. Un rendez-vous avec ce lieu magnifique, cette ancienne église devenue un auditorium à la superbe acoustique. Un auditorium, plutôt destiné au classique et à la danse, qui s’ouvre rarement à la chanson. Je me souviens uniquement d’un spectacle Rocking chair, quelques étés auparavant, avec Jeanne Garaud, Manu Galure et Chouf.

La salle est pleine. On ressent un public impatient, comme quand on attend de retrouver un ami, pas vu depuis longtemps, dont on a eu peu de nouvelles ces dernières années. Puis Jehan & Suarez arrivent. Ils ont fait le choix d’un cercle resserré au milieu de ce grand espace où les deux artistes rapprochés vont jouer. Et c’est parti. Un Jehan en forme, à la voix chaude, rocailleuse et impeccable. Un Jehan beau dans sa chemise blanche, sa veste et son jean bleu foncé ou noir. « J’ai senti aussitôt les poils se hérisser sur mes avant-bras » ou sa déclinaison plus courte « ça m’a foutu les poils » : ce sont des expressions caricaturales que je n’appécie pas. Mais voilà, ce soir, la voix de Jehan sur les textes de Leprest habillés par la musique de Suarez : « ça m’a foutu les poils ! » 

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Chansons connues et d’autres pas. Les « monuments » comme C’est peut être et Où vont les chevaux quand ils dorment que j’ai tant de fois entendus par Romain Didier. Les découvertes pour moi comme Trafiquants qui démarre le concert, On est bien avancés, Ne me quitte plus et Va t’en jouer dehors. Et les redécouvertes comme Je ne te salue pas dans un tempo plus rythmé qui lui va bien, On leur dira, J’ai peur dit plutôt que chanté. Jehan nous offre Etrange  que j’ai toujours autant de plaisir à écouter, dont il a fait la musique et qu’il joue à la guitare. Textes poétiques, d’amour, textes engagés ou sur le quotidien. Choix de chansons montrant, une nouvelle fois, qu’en dehors de son écriture magnifiquement imagée Leprest puisait dans des thématiques larges et diverses. Un dialogue complice et de haut niveau entre l’interprète et l’accordéoniste. L’interprète, Jehan, n’a peut être jamais été aussi sobre, bras souvent le long du corps et parfois dans le dos. Et Jehan n’a peut être jamais été aussi grand, aussi fort. Tout dans la voix et dans l’intention. L’accordéoniste Lionel Suarez, souvent la tête penchée, fait corps avec son instrument. Quand tu fermes les yeux, tu imagines que plusieurs instruments sont en action et en tout cas pas forcément un accordéon. Impressionnant et beau ! Entre les chansons, parfois Jehan distille une anecdote sur la vie de Leprest. Ce concert Jehan / Leprest / Suarez passe comme dans un rêve, mais un rêve éveillé que l’on peut savourer. Et puis le rappel. Ah le rappel ! Trois chansons de Dimey « comme c’est un rappel, on va se rappeler les chansons que l’on jouait ensemble il y a  une douzaine, quinzaine d’années » dira Jehan. Il reprend mes préférées. J’aimerais tant savoir, L’Aventure et Si tu me payes un verre (« Et je repartirai avec un peu de toi pour meubler mon silence » comme nous après le concert). Et j’ai le sentiment qu’il se lâche encore un peu plus. Le public, à l’écoute intense pendant une heure trente, se laisse aller, généreux et chaleureux, au moment des applaudissements.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Après le concert, les gens restent un long moment dans le hall. On ne veut pas quitter cette soirée. On parle entre nous, on va de groupe en groupe dès qu’une connaissance est repérée. Je m’aperçois que trois types de publics étaient présents ce soir. Ceux qui aimaient Leprest et Jehan (les plus nombreux), mais aussi ceux qui ne connaissaient ni l’un ni l’autre (belle curiosité !) et ceux qui ne connaissaient que Jehan (et « ils ont beaucoup de chance car ils vont découvrir toute cette œuvre magnifique. ») Tous étaient d’accord sur le très grand moment du festival que nous venions de vivre. Mes copains chanteurs étaient bluffés par Jehan, mes connaissances musiciens impressionnées par Suarez et nous les amateurs de chanson étions stupéfaits par la mise en valeur des textes de Leprest.

Deux heures après la fin du concert, par hasard (oui celui qui fait bien les choses !) ou presque je me suis retrouvé dans la cave d’un restaurant de la rue des Blanchers, pas loin de l’Auditorium. Dans la cave où se tenait l’after du concert avec Jehan, ses proches, ses amis chanteurs et musiciens toulousains. Un after en chansons, vin et bières. Un grand moment de plaisir. Comme celui où Jehan chante Cap au Nord d’Anne Sylvestre. Comme quand il reprend Les acacias une superbe chanson de Grabowski, celui-ci l’accompagnant à la guitare. Plus tard, lorsqu’on quitte  le bar je m’aperçois – un peu surpris – que l’on peut tranquillement prendre le métro (car … à 5h50 il fonctionne !)

Si on revient au programme du festival, on peut parler d’un très beau démarrage. Un succès public : quatre artistes (six concerts) étant annoncés complets avant le début du festival. Et les concerts de Jehan / Suarez et Lizzie ont refusé du monde. Des spectacles d’une belle qualité. Vivement la suite !

Les Sessions – 02 – Gemma

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Tu ne connais pas Gemma et forcément tu as tort. Et ça ne t’aide pas à avancer vite puisque le tort tue. Alors, à Hexagone, on te propose une petite séance de rattrapage avec cette session vidéo. Gemma est franc-comtoise d’origine et vit en Auvergne. Je le dis parce que tu ne l’entendras pas sur la vidéo. Ce n’est peut-être pas d’un intérêt vital mais c’est une info comme une autre. Je peux te dire aussi que Gemma sera prochainement aux Trois Baudets avec Clou et Liz Van Deuq mais on t’en reparlera d’ici-là. Forcément. Pour le reste, tu mets la HD sur ton lecteur Youtube et tu regardes. Et tu écoutes. Y a même un duo avec Clio ! Clio, tu sais, c’est d’elle dont on dit le plus grand bien ici-même.


GEMMA – INTERVIEW


GEMMA – REVOIR LA MER


GEMMA & CLIO – T’ES PAS BEAU

Festival Chants de Mars. Lyonnais, populaire et convivial depuis 10 ans !

Les Chants de Mars sont le principal festival de chanson francophone lyonnais. Pour sa 10ème édition, du 15 au 19 mars prochains, il propose une programmation tout à fait exceptionnelle avec en tête d’affiche un Christophe Miossec dont le concert est déjà complet depuis ce week-end (je t’avais prévenu dans ma sélection de février qu’il fallait réserver de toute urgence !) Mais pour les amateurs de beaux spectacles il est encore temps de réserver les soirées avec Giedré, Zoufris Maracas et Loïc Lantoine, celui-ci accompagné par les lyonnais du Very Big Experimental Tubifri Orchestra. Buridane chantera avec une chorale d’enfants, à l’Auditorium de Lyon. Mais à côté de ces têtes d’affiches le festival propose de nombreux rendez-vous avec des artistes émergents dans des configurations très variées et A Thou Bout d’Chant organise, en ouverture, une véritable course contre la montre créative avec les « 24 heures du mot ». J’ai rencontré deux des programmateurs du festival : Christine Azoulay de la salle des Rancy et Benjamin Petit du Marché Gare qui nous présentent l’histoire, la ligne directrice et les principales dates de leur festival.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Comment est né le festival des Chants de Mars ?
Christine : Il est né de l’idée de trois MJC lyonnaises de travailler autour d’une esthétique commune, la chanson francophone. Il s’agit de la MJC du Vieux Lyon (salle Léo Ferré), la MJC Confluence qui s’appelait alors la MJC Perrache (salle du Marché Gare) et la MJC des Rancy à la Guillotière (salle des Rancy). Dans chacune de leurs salles elles programment de la chanson.

Hexagone : Ces salles se réfèrent à l’éducation populaire. Comment cet esprit se traduit-il dans un festival de chansons ?
Christine : On est un peu dopé à cet esprit « éducation populaire » qui transpire dans tout ce qu’on fait même si, aujourd’hui, on emploie plus facilement le terme du « vivre ensemble ». On retrouve donc ça dans la mise en avant des pratiques amateurs, dans la dimension d’accompagnement des jeunes artistes, dans l’accessibilité des spectacles par leurs tarifs, dans le travail avec le jeune public mais aussi quand on s’interroge sur les valeurs qu’expriment les artistes.
Benjamin : L’éducation populaire, c’est participer à l’épanouissement personnel des citoyens à travers des activités qui sont hors des institutions comme l’école ou l’entreprise. Nous proposons donc une programmation qui concourt à la diversité culturelle et qui sort des grands circuits de l’industrie musicale avec de grandes têtes d’affiche relayées par les médias nationaux. Nous choisissons les artistes d’abord parce qu’ils sont intéressants sur le plan artistique plus que par leurs relais médiatiques. Nous cherchons aussi à favoriser les pratiques artistiques à travers les ateliers de chant et d’instruments que proposent les MJC. Nous cherchons à motiver les enfants à travers les spectacles auxquels ils assistent et la pratique de la chorale comme on va le faire à l’Auditorium avec Buridane et les ALAE (Accueil de Loisirs Associé à l’Ecole) créés au moment du changement des rythmes scolaires.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Comment le festival a-t-il évolué depuis sa création il y a 10 ans ?
Benjamin : Depuis 10 ans, le festival s’est développé de façon horizontale. Plutôt que de rechercher des têtes d’affiches qui drainent un large public et de grossir verticalement, on a cherché à multiplier les partenaires et à toucher toutes les salles qui proposent toute l’année de la chanson. On a donc multiplié les partenariats avec des lieux de toutes tailles. C’est donc un effet « tâche d’huile » plus qu’un développement pyramidal qu’a connu le festival.

Hexagone : Est-ce facile de se mettre d’accord sur une programmation avec des partenaires aussi différents les uns des autres ?
Christine : On évite bien sûr de se disputer mais c’est vrai qu’on parle beaucoup. On n’est pas dans un consensus mou et chacun défend ses envies et ses goûts personnels. Et souvent, comme on est assez convaincu, on arrive à convaincre les autres.
Benjamin : Pour GiedRé on a beaucoup discuté pour intégrer sa chanson humoristique dans notre programme comme pour Schvédranne, avec sa poésie 2.0, accompagnée de musiques électroniques et de projections sur scène. Ce sont là des sujets de conversation intéressants qu’on a pu avoir.

Photo David Desreumaux
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Hexagone : Quels sont les moments forts de la programmation ?
Benjamin : Il y a Miossec qui va sortir un dixième album en 2016 et il a voulu éprouver sur scène ses nouveaux musiciens et ses nouveaux morceaux avant la tournée qui aura lieu dans les grandes salles. On a l’opportunité de le voir dans une petite salle parce que c’est son choix en tant qu’artiste de jouer dans de petits lieux avant la sortie d’album.
Christine : Loïc Lantoine sera accompagné par un orchestre lyonnais, The Very Big Experimental Tubifri Orchestra. Ils sont très jazz dans l’esprit. C’est l’histoire d’une rencontre entre le Tubifri et Loïc Lantoine, avec son répertoire et tous les arrangements et l’orchestration de cet ensemble lyonnais. Ca fait beaucoup de musiciens sur le plateau et une très belle soirée au Marché Gare.
Benjamin : Zoufris Maracas, on l’a découvert il y a 4 ans aux Chants de Mars, au Marché Gare, et on avait eu un coup de cœur pour ce groupe qui mélange des sonorités sud-américaines et africaines, la salsa et la rumba, le zouc et le reggae tout en écrivant des chansons avec une plume vraiment fine. Ils reviennent cette année dans une plus grande salle, au Transbordeur.

Hexagone : Buridane revient également aux Chants de Mars.
Christine : On lui a proposé un projet inédit avec une chorale d’enfants, sur son propre répertoire, une première pour les Chants de Mars. On la retrouve également le jour d’ouverture du Festival avec A Thou Bout d’Chant. La nouvelle équipe a rejoint le festival et nous a proposé  Les 24 heures du mot . En une journée les artistes vont faire une création artistique autour d’un thème. Ils se voient le lundi et travaillent toute la journée pour une création qui est restituée le mardi.


Le site et la réservation du Festival


Photo de Une : Giedré par David Desreumaux

Lise Martin, mettre au monde cette étoile qui danse

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Mettre au monde cette étoile qui danse

Mon enfance. 
« Je suis née le 8 décembre 1984. Le jour de l’immaculée conception
 » raconte avec un large sourire Lise Martin. Le genre de hasard du calendrier que sa grand-mère regardait avec bonheur, confie-t-elle. Tout commence dans l’Allier, dans la commune de Saint-Menoux. Jusque-là, que du banal mais le banal tombe quand je t’apprends que Lise voit le jour à la maison. Au foyer. Genre à l’ancienne parce que ses parents « étaient un peu des hippies. » Devancée d’un an par sa sœur Soizic, Lise arrive en numéro 2 dans une famille de cinq mouflets. Quatre filles et un garçon. Il devait y avoir bien de l’occupation dans cette maison non loin de Vichy et de Moulins.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Prof d’allemand, la mère de Lise est d’origine vendéenne alors que son père normand a exercé mille métiers dont celui de boulanger. C’est donc tout naturellement qu’ils vont se rencontrer en Allemagne avant de s’installer à Saint-Menoux dans le but de se rapprocher de l’école Steiner de la région. Ils ont la ferme intention d’apporter à leurs enfants l’éducation rêvée qu’ils n’ont pas reçue. L’école Steiner propose « une scolarité un peu particulière avec une pédagogie alternative qui essaie de développer autant le côté manuel qu’intellectuel de l’enfant. On y mêle la lecture, l’écriture, le modelage, le tricot, la peinture, etc » explique Lise. Lise y mène une scolarité normale et, peu enjouée à l’idée de faire l’équivalent de ses Première et Terminale dans un internat à Montluçon, rejoint sa soeur à Chatou, en région parisienne. Là, en même temps que son indépendance, elle obtient son bac en 2003 et entame des études de cinéma à la fac de Censier. Etudes qui seront sanctionnées d’une licence. Durant ces années estudiantines, le prix de l’indépendance se paie à coups de petits jobs, t’imagines bien.

Les arts, au sens large, tiennent une place d’importance dans la formation Steiner. Lise Martin a grandi dans cette culture, comme dans un environnement naturel. Elle a beaucoup tatônné avant de choisir la chanson comme forme d’expression professionnelle. « J’ai toujours beaucoup dessiné et peint. C’est ce que je voulais faire au départ. Avec le dessin et les mots, on reproduit ce que l’on voit. Ce n’est pas si éloigné. Dessiner c’est apprendre à regarder, faire de la musique, c’est apprendre à écouter. Chanter c’est apprendre à parler. Le théâtre est une grande passion chez moi aussi. Mais c’est comme une histoire d’amour frustrée. Le théâtre représente, comme en chanson, le rapport au présent. » précise-t-elle.

Je chante.
Au-delà des arts en général, la chanson aura peut-être été l’art de proximité chez les Martin. Le pont des arts. Lise se souvient que « la musique, la chanson a toujours eu une place importante à la fois à la maison mais aussi à l’école. Ma mère nous a toujours chanté des chansons pour nous endormir le soir. Elle a même inventé une chanson lorsque mon frère était bébé. Je crois que c’est la première fois que j’ai vu en direct le processus de création d’une chanson. »  Son père, tu sais, l’homme aux mille métiers, jouait également de la guitare et chantait. Des classiques de la chanson française. Les Brassens, Le Forestier et autre Mon pote le gitan, dans lequel, peut-être, voyait-il un autoportrait. D’ailleurs, c’est ce père qui apprend à Lise son premier morceau à la guitare. Ca ne folke pas encore à mort mais elle exerce son groove avec Sur le pont du Nord. Il faut un début.

Photo David Desreumaux
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Malgré son envie, pour ne pas faire comme sa soeur aînée qui a débuté l’apprentissage du piano, Lise Martin s’oriente à 7 ans vers l’étude du violon. Sa relation à l’instrument est assez conflictuelle et – patatras ! – Lise découvre dans le même temps que le chant lui procure beaucoup plus de plaisir que le violon. C’est sa marraine qui lui enseigne l’instrument, elle n’ose pas dire que ça la saoule. Du coup, comme enchristée, elle prend dix ans au violon : 5 ans de violon, 5 ans d’alto. Elle arrête lorsqu’elle monte à Chatou rejoindre sa soeur.

Elles s’appelaient Fées d’Hiver.
C’est à Chatou que la première expérience en chanson va s’écrire. Avec Soizic, on va y revenir. Avant ça, bien sûr, il y a eu quelques velléités adolescentes, mais comme le raconte Lise, celle-ci semble à cette époque coincée entre complexe et quête personnelle. « J’ai commencé à écrire autour de 12 / 13 ans mais c’était hyper cul-cul. Je n’osais pas le montrer. Il y a avait une espèce de rivalité avec ma soeur aînée, Soizic, qui écrivait des nouvelles et des poèmes. Elle écrivait d’une manière très poétique, très belle. Moi, c’était moins onirique, plus terre à terre et du coup j’étais très complexée. Je ne montrais à personne sauf à ma petite soeur qui me disait que c’était bien. » Lise commencera à prendre confiance en elle, à montrer ses essais, suite à la présentation de son travail de fin de cycle (appelé Chef d’Oeuvre dans les écoles Steiner). Un court-métrage dans lequel elle utilise deux de ses poèmes et dans lequel elle chante une chanson de Barbara.

Son bac en poche, Lise Martin part en voyage humanitaire en Inde durant un mois et demi. Voyage durant lequel elle écrit beaucoup. A son retour, Soizic lui fait écouter un poème qu’elle a mis en musique et Lise y pose une deuxième voix. C’est leur première chanson. Lise et Soizic viennent de créer leur groupe, Les Fées d’Hiver. « Après ça, j’ai eu envie d’essayer aussi, je n’ai pas réussi à le faire sur un de mes textes mais j’ai adapté 3 poèmes du poète Jacques Gaucheron que j’ai fusionnés et qui ont donné notre deuxième chanson. Et j’ai continué. » se souvient Lise avant de poursuivre et se rappeler que « la toute première chanson que j’ai écrite, paroles et musique, c’était Ce n’est que moi que je chante encore. » Cette première chanson de Soizic produit comme un déclic chez les deux soeurs. Elles vont écrire, chacune, indifféremment. Et sur les chansons de l’une, l’autre vient poser une seconde voix.

Photo David Desreumaux
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A cette époque pas si lointaine, peu de filles (peut-être les Face à la Mer) osent affronter le public des bars. Ce n’était pas banal en 2003. C’est Nicolas Joseph qui propulse Les Fées d’Hiver sur les scènes des bistrots parisiens. Il les invite régulièrement lors de ses concerts à venir chanter leurs deux titres. Puis, petit à petit, le répertoire s’étoffe et Les Fées vont faire quelques premières parties et leurs propres concerts. En un an et demi, les filles vont écluser pas mal de scènes parisiennes mais Soizic décide d’arrêter pour cause d’amour à suivre. Fin de saison pour Les Fées d’Hiver. Les fées meurent, éphémères, ne laissant aucun enregistrement derrière elles.

Repartir à zéro.
Lise Martin ne va pas remonter sur les planches tout de suite. Soizic a quitté Paris et Lise avoue qu’elle n’osait pas aller chanter toute seule avec sa guitare dans les bars. C’est à nouveau Nicolas Joseph qui va lui remettre le pied à l’étrier en lui proposant de l’accompagner à l’accordéon, en 2007. « Donc j’ai repris avec lui, puis un guitariste (Nicolas Métro) s’est greffé, puis une violoncelliste (Camille Ablard) » ajoute-t-elle en précisant que son répertoire se constitue alors pour l’essentiel des titres dont elle était l’auteure au sein des Fées d’Hiver. De nouveaux morceaux vont venir enrichir progressivement le répertoire jusqu’au jour où le support discographique devient indispensable. C’est un moment charnière dans le projet Lise Martin.

« J’étais passionnée de cinéma depuis assez jeune. Je n’arrivais pas à me dire que je voulais être chanteuse. Je trouvais ça très prétentieux. Ensuite, c’est un peu le hasard qui m’a mené vers la chanson. Je faisais mon école de théâtre, la fac de ciné, mais je n’arrivais pas à m’avouer que je voulais faire de la chanson mon métier. Je pense que le déclic a été l’enregistrement de Gare des Silences, en 2009 / 2010. » constate aujourd’hui Lise Martin. Ce premier EP de sept titres est enregistré par un ami ingénieur du son, Christophe Hammarstrand, dans les studios de Nova Prod où il bosse. Faute de gros moyens, les sessions ont lieu la nuit, avec l’autorisation des studios. Sur ce premier opus, Lise Martin fait le choix de retenir les morceaux les plus prisés de son public, les morceaux dont on lui parle le plus et dont les arrangements sont prêts. Sept titres liminaires d’une carrière qui ne sonnent en rien comme des oeuvres de jeunesse. L’écriture de Lise Martin, son sens de la mélodie font plus qu’affleurer sur cet exercice sonore où l’on retrouve Tes mots, Le tourbillon et Liberté, notamment, que Lise chante encore régulièrement sur scène.

Photo David Desreumaux
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Riche de cette première expérience discographique « troublante », Lise Martin va beaucoup écrire entre 2010 et 2013. De nombreuses chansons voient le jour, sont rodées en concert, et la matière à discographier est devenue plus que suffisante. Le nouveau double album, Déments songes, entre donc en phase de création. Dans l’intervalle, le groupe a évolué, à grand renfort de cordes. Florence Breteau est arrivée au violon et Francis Grabish ne se retrouve pas à toutes les sauces mais au violoncelle. Cyril Aubert est toujours présent à la guitare et c’est Luc Ginieis qui tient la batterie. Christophe Hammarstrand étant indisponible au moment de l’enregistrement en 2013, c’est une de ses bonnes connaissances qui assure la réalisation, en la personne de Sébastien Miglianico. « Je partais avec l’idée de faire un simple album. Suite à une discussion avec un ami, l’idée du double thématique s’est imposée. J’avais, au départ, élaboré l’idée de l’album Déments songes qui parlait davantage de la vie et ses interrogations. Le suivant aurait gravité autour des interrogations sur l’amour. Cet ami avait raison, ça avait du sens de faire un double album avec des chansons qui avaient vécu et existé en même temps plutôt que de les séparer et de sortir un autre disque dans deux ans. Presque hors contexte. » justifie Lise Martin à propos du format – hors du commun en 2014 – de double album. Puis elle poursuit en expliquant que Déments songes veut à la fois signifier les rêves fous, l’idéal dans son assertion positive mais qui peut aussi se perdre dans des illusions plus limitantes. « Alors que l’idéal est censé porter vers l’avant, les illusions limitent et bloquent » précise Lise.

Création permanente.
Lise Martin n’est pas une artiste qui conçoit son art comme une marchandise nécessaire à un instant T, histoire de relancer la machine à programmateurs. En création permanente, elle écrit régulièrement, au gré de ses questionnements, de ses tentatives de compréhension de l’humaine condition. Le prochain album est déjà sur le métier à tisser. Elle est en train d’en terminer les morceaux (début 2016). Contrairement au précédent, les chansons retenues n’auront pas été rodées en live auparavant et le nouvel album devrait ainsi sortir en même temps que le nouveau spectacle. « J’aimerais bosser les arrangements jusqu’à cet été, enregistrer en septembre et sortir l’album au printemps 2017. » précise Lise Martin. Un album sur lequel le guitare voix et le ukulélé pourraient avoir une place prépondérante. Et Lise de nous renseigner quant à l’écriture : « je teste d’autres pistes. Je reste très exigeante mais je m’autorise davantage de libertés ; je donne toujours plus de liberté au texte qu’à la musique mais là j’explore également d’autres choses musicalement. Ca me semble prendre un chemin différent mais ça reste dans la continuité. Ca devrait être encore plus du Lise Martin. »

Photo David Desreumaux
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Définir l’écriture de Lise Martin. Joli défi. On pourrait parler comme un journaliste pressé et mal inspiré et dire que la plume de Lise est ciselée. Comme on dit pour à peu près tous les auteurs tant et si bien qu’on finit par ne plus savoir ce que cela signifie vraiment. Les textes de Lise Martin sont au confluent de multiples matières. La peinture, la littérature, la poésie, la philosophie, la psychanalyse. Au carrefour des sciences humaines. Tout cela pour ne tendre que vers un unique but : avancer. Avancer dans la vie, c’est s’interroger sur soi-même, c’est se lire en se mettant en danger, en dépassant ses zones de confort. La chanson est un vecteur de questionnement chez cette chanteuse – chose peu banale – qui cite Nietzsche,  « Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante, » avant de développer sa propre pensée : « Quand j’écris, c’est que quelque chose me pose question. Je pose mes interrogations dans le déroulé de la chanson et quand j’arrive à la conclusion, c’est une piste possible. Il n’y a bien sûr pas de réponse définitive. Je chante pour faire taire le silence car je ne l’interprète pas favorablement. J’ai besoin de le comprendre. Le chaos en moi peut être très violent et l’écriture m’aide à mettre au monde l’étoile dont parle Nietzsche. Le chant adoucit tous les maux et le silence. » Ce silence à faire taire que l’on trouve en étendard dès le premier opus, mis en question, presque convoqué en duel dans son jeu de mots équivoque. (Gare des Silences / Garder Silence)

Jeu sur le mot en mode lacanien sur le second opus également. Coup double de surcroît : Déments songes où la vérité est passée au Pentothal, sérum de vérité ; Par don où l’amour montre ses chausse-trappes. Lise de donner son éclairage : « Déments songes, c’est pour démêler les rêves à garder des illusions. Chaque chanson est une tentative pour savoir à quoi je m’attache et de quoi je dois me défaire pour avancer. C’est pour ça que c’est séparé. Déments songes, les questions pour avancer dans la vie. Par don, c’est les illusions que l’on peut avoir au départ sur l’amour et qui vont se casser au fur et à mesure. Par don exprime le fait de vouloir donner et s’excuser aussi parce que quelquefois on donne avec beaucoup de bonnes intentions et si les intentions sont très positives, le résultat ne l’est pas forcément. » L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on…

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Folk à mort.
S’instruire de son quotidien pour toucher son prochain, pour éclairer sa propre vie. C’est en quelques mots, en partie, la sphère de la chanson folk traditionnelle. Pour beaucoup nourrie à la mamelle de Joan Baez, formée à la guitare par une chanteuse de folk anglaise, Lise Martin trempe son ancre (et son encre) volontiers dans ces eaux-là (Pas comme Emile). Corps et bien, pour le dire à la Robert Desnos qui parmi autres Baudelaire, Henri Michaux, Aragon et Hugo constituent le socle patrimonial du langage esthétique de Lise. De la folk, certes, mais de la folk poétique, assise sur un fonds intemporel. Pour cette ACI qui se sent auteure prioritairement, « la poésie permet de dire des choses qu’aucun autre langage n’arrive à dire. J’ai lu et je lis encore beaucoup de poésie. Certaines images poétiques m’ont apporté plus qu’un bouquin de philo, par exemple. Les dialogues que j’ai avec la poésie vont où aucun dialogue ne va jamais. » Poésie, images, dialogue, tout cela ne signifie pas vision éthérée, égocentrée. L’ambition est plus large, plus noble dans le désir de « faire des chansons qui pourraient être utiles à quelque chose. Quand quelque chose me touche, m’interroge, j’essaie de le développer, de le comprendre et de partager le fruit de mon expérience, de mes pistes de recherche. »  exprime Lise Martin avant de dévoiler que l’« un des objectifs dans ma vie, c’est de cerner les peurs qui me limitent, de les regarder en face et de trouver un moyen de les dépasser. Les pistes que je donne dans mes chansons, c’est un peu ça. C’est pour ça qu’un sujet en chanson peut être traité d’innombrables fois tant il y a de pistes possibles. »

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Les chansons de Lise Martin portent les atours de l’intemporalité. Elles nous appellent à considérer la relativité du temps. Ne pas chercher à s’amarrer à un courant ambiant, rejeter à dessein les phénomènes de mode, c’est l’axe de création de la Ménulphienne. C’est parce que l’intemporalité permet à un large public de s’y retrouver que Lise cherche dans son « choix de mots à gommer volontairement tout ce qui marquerait trop l’époque, tout ce qui pourrait rendre les chansons trop vite obsolètes. » Une intemporalité qui permet d’accéder à ce qui relie les gens entre eux, d’époque en époque et participe de la confection de chansons plus durables, moins jetables. L’intemporalité serait-elle l’écologie de la chanson ?

Voix de Fée. 
Pourrait-on clore ce portrait sans évoquer la voix de Lise Martin ? Une voix profonde qui funambule sur l’émotion. Un voix colère qui éteint les silences. Une voix qui dessine et se réapproprie des espaces de libertés. Une voix amie qui libère les peurs et les fausses croyances. Une voix magnétique qui n’est pas étrangère aux nombreux tremplins remportés depuis le début de sa jeune carrière. Vive la Reprise notamment, en 2013, organisé par le Centre de la Chanson. Et le Grand Zébrock, autre déclencheur, qu’elle n’a pas remporté mais dont elle a accédé à la finale. Finale lui permettant de bénéficier de 6 mois d’accompagnement et d’y faire la rencontre déterminante de Françoise Fognini qui est devenue sa coach scénique.

La scène tiens, parlons-en. Elle y a promené tout un tas de formules Lise Martin. Avec Soizic et Les Fées d’Hiver au tout début. Puis, les formules du vrai départ solo, formules de hasards, avec l’accordéon de Nicolas Joseph, la guitare de Nicolas Métro. Puis, quand l’envie de grandir artistiquement s’installe, il se met à pleuvoir des cordes sur les concerts de Lise. Violon, contrebasse, violoncelle viennent nourrir les portées de leurs notes bien pesées. Quand lieux et budgets se font trop petits, c’est avec Cyril Aubert à la guitare que la chanteuse se montre en duo et précise que « c’est enrichissant de pouvoir changer de formule et d’éviter la routine. Etre en danger, ça met dans le présent, ça crée l’inquiétude et je suis vraiment présente. C’est ça la scène, c’est être présent. S’il est quelque part, le bonheur est dans le présent. » Depuis peu, voilà même qu’elle ose monter seule en scène. Ce qu’elle ne s’était pas encore autorisé. Avec sa guitare, avec son fidèle ukulélé. Et puis sa voix, cette voix comme un appel envoûtant dans un chef d’oeuvre de Joseph Conrad, tu sais. Lise Martin, un autre présent qui met au monde des étoiles qui dansent.