Alexis HK, « un chanteur ça reste un baladin »

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Entre deux parties de tennis de table, à quelques heures de sa prestation dans le cadre du festival du Marne, Alexis HK se raconte. Il porte un regard éclairé sur la chanson, sur la nouvelle scène française et la suite de sa carrière.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Qu’y a-t-il dans la chanson que tu n’as trouvé ni dans la philo ni dans ta première expérience professionnelle ?
Alexis HK :
Il y a peu de choses que je n’ai pas trouvées dans la philosophie. Par contre, le fait de se donner en représentation est quelque chose d’assez singulier qu’on retrouve dans peu de disciplines : chanson, théâtre. Il y a un but un peu thérapeutique dans le fait de faire de la scène dans la mesure où il s’agit d’expulser ses émotions, ses démons mais aussi ses anges. Ça suggère un contact avec le public et c’est pour ça que c’est un beau métier.

Hexagone : Donc, tu n’avais pas d’ambition de carrière avec la philosophie ?
Alexis HK :
Je n’envisageais pas d’être philosophe. C’était plus par enrichissement personnel que j’ai fait ces études. Je savais que la philosophie pourrait me mettre un peu de plomb dans la cervelle et pouvait me donner des directions de vie intéressantes. Ce qui m’intéressait surtout dans la philosophie, c’était cet espèce de deuxième regard sur la vie, le fait de penser la vie. De se regarder soi-même comme un objet de pensée, ça rend vraiment les choses très singulières et étonnantes. Ça fait qu’on essaie de ne pas se lever le matin dans l’habitude mais on essaie de fonctionner davantage dans l’étonnement que dans l’habitude.

Hexagone : L’étonnement, n’est-ce pas finalement ce que tu essaies d’injecter dans tes chansons ?
Alexis HK :
Effectivement, pour moi, une bonne chanson part d’un étonnement. On va faire sortir une émotion, on va raconter une histoire mais c’est sur la base d’un étonnement qui doit se constituer sur la base de plein de petites surprises et qui doit être le nœud d’un mystère. Dans toutes les chansons, il y a un mystère, une question qui est posée.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Si tu devais décrire en quelques mots ce qu’est pour toi l’alchimie d’une chanson réussie, tu l’exprimerais comment ?
Alexis HK :
Une chanson réussie, c’est une chanson qui va au bout de ce qu’on a pu vouloir dire au départ. Ca doit être quelque chose de sincère aussi car pour faire passer une chanson, il faut être convaincu par ce qu’on chante et pour être convaincu par ce qu’on chante, il faut être repassé 100 fois sur le métier pour finir par se dire : « là, c’est bon, je peux le chanter, je peux l’assumer comme il faut parce que je suis allé au cœur de ce que je voulais dire ». C’est une espèce de cuisine où on y met tous les ingrédients, où on essaie de réunir un maximum d’émotions qui sont parfois contradictoires, où on essaie de faire sonner les mots, de faire sonner la musique, le tout pour essayer d’obtenir une harmonie, une espèce de tableau assez compact. Un ensemble pas trop long dans le temps où l’on projette un personnage, où on va le faire avancer, le faire vivre et peut-être le faire mourir. C’est un bel exercice.

Hexagone : Derrière cet exercice qui te conduit à fabriquer et mettre en situation des personnages, quand on gratte le vernis on découvre une seconde couche, d’autres sens. On n’est pas forcément loin de la philo ou de la sociologie à ce moment-là non ?
Alexis HK :
Derrière chaque histoire se cache des fondements éthiques, etc. Il se passe quelque chose au-delà de l’existence d’un personnage. Aussi bien le personnage lui-même que son environnement vont évoluer au milieu d’un univers qui est à la fois un univers d’objets mais aussi un univers d’idées. Je pense qu’un bon personnage, c’est l’incarnation d’une émotion. Que ce soit un personnage très timide et renfermé ou un personnage truculent et grandiloquent, derrière eux il y a une émotion, une origine, une histoire et réussir à concilier l’histoire et les émotions mais aussi les idées et les positions qu’on pourrait prendre sur tel ou tel sujet, effectivement ça fait partie de la construction d’une histoire.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Il y a une autre dimension surprenante chez toi, c’est la dimension scénique. Tu te sens à l’aise visiblement sur scène ?
Alexis HK :
On doit aller devant un public. Il est évident que lorsque l’on écrit ses propres chansons et que personne ne vous connaît, on n’a pas le choix. C’est un parcours qui est donné, si l’on veut vraiment faire ça, il faut à mon avis ne pas trop sauter les étapes et c’est ce que j’ai fait. C’est à dire que seul ou avec des musiciens, j’ai commencé par jouer dans les plus petits endroits de la terre avec le moins de monde possible. Il y avait 4/5 personnes dans la salle dont 2 parlaient entre elles. J’ai appris comme ça, par expérience, par empirisme. On y va et on avance comme ça, on apprend des choses et après on se les garde et on les réutilise pour la fois d’après.

Hexagone : Ça forme une espèce d’armure ?
Alexis HK :
Ça forme une espèce de blindage, oui. Être sur scène, c’est comme être en voiture, il y a des codes à connaître pour que les contacts passent bien, que les signaux s’échangent bien. Ce sont des choses qui ne s’improvisent pas, il faut les connaître un minimum. C’est une fois qu’on les connaît qu’on peut commencer à improviser.

Hexagone : Ton énergie sur scène contraste résolument avec le calme relatif du disque. Comment expliques-tu cela ?
Alexis HK :
Je pars du principe qu’un studio d’enregistrement et une scène, ce n’est pas le même endroit. Il ne s’y passe pas les mêmes choses. Quand on termine un album, on se demande toujours à qui il va s’adresser et dans quelles conditions on va pouvoir l’écouter. Ce que je voulais pour Belle ville, c’était un disque que l’on puisse écouter en faisant sa vaisselle. Par contre, sur scène, il y a des personnalités qui sont là devant un public donc il y a une énergie immédiate qui s’installe et l’on doit prouver qu’une chanson peut vivre différemment et se chanter différemment en fonction de l’endroit où l’on se trouve. La mise en scène du spectacle a été pensée dans le sens de l’énergie, déjà pour ne pas s’ennuyer, et puis parce que les gens qui composent ce groupe sur scène sont des gens énergiques. On n’allait pas rester calmes gratuitement.(rires)

Hexagone : Il y a un autre contraste marquant. Tu t’inscris – malgré un attachement à certaine chanson traditionnelle – dans un registre moderne et sur scène, tu te présentes en costume, dans un look un peu rétro. C’est un brouillage de pistes, de la provoc’ goguenarde, c’est quoi le concept ?
Alexis HK :
J’ai envie de faire sur scène des choses que je ne fais jamais dans la vie. Il y a un truc que je ne fais pas trop dans la vie, c’est de mettre un costard. Ça ne m’arrive quasiment jamais. Puis, le costume a – à la fois – l’avantage d’être élégant et l’inconvénient de faire que l’on est un peu étriqué dedans. On a peur de se tâcher, on n’est pas toujours à l’aise, on a chaud très vite, etc. Ça rentre dans le cadre d’un personnage qui est une espèce de grand timide qui se met en costume pour un peu se protéger. C’est un grand pantin timide qui s’est bien habillé pour l’occasion parce qu’il a une soirée de gala. Chanter des chansons de nain qui vole et de type qui agresse les vieilles dans les trains en ayant un petit sourire en coin avec de la gomina sur les cheveux, je trouve ça amusant. Le faire avec un jean troué et un vieux t-shirt, ça pourrait être bien mais ce n’est pas pareil.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : On parle beaucoup de la « nouvelle scène française ». Comment vois-tu ça ? Est-ce que tu penses que c’est un terme fourre-tout ou bien est-ce révélateur d’une véritable pépinière de talents ?
Alexis HK :
Je pense aujourd’hui, que ce soit sur la scène française ou ailleurs, on n’a jamais dû être à une époque aussi créative que ça. C’est à dire qu’il y a aujourd’hui autant de chanteurs qu’il y avait d’ouvriers en 36. Tout le monde est chanteur aujourd’hui, c’est une nouvelle donnée. Après, quand une nouvelle vague se crée, elle est à la fois un peu fourre-tout et en même temps elle correspond à un phénomène qui a eu lieu à partir de 2002 – avec Bénabar, Delerm – qui se sont mis à vendre des disques. Parce que c’est ça quand on parle de « nouvelle scène », c’est qu’ils vendent des disques. Comment se fait-il que Delerm et Bénabar vendent 300 000 disques et Carla Bruni 1 million ? A partir de là, on crée des phénomènes de courants musicaux et on dit « il y a une nouvelle scène française ». Je suis arrivé dans ce train-là, j’aurais pu arriver dans un autre et je ne me suis pas trop posé la question. J’avais le pressentiment qu’un jour ou l’autre ça fonctionnerait, qu’il fallait prendre son temps et qu’on verrait où on arriverait. C’est vrai que là, je suis arrivé au milieu de circonstances assez propices.

Hexagone : D’ailleurs, le parallèle entre Bénabar et toi est fait assez régulièrement. C’est quelque chose qui te convient ?
Alexis HK :
Ça ne choque pas. Je l’aime bien, je l’ai beaucoup écouté. J’aime bien ses observations, sa perception. Je n’ai pas trop aimé son dernier disque mais ça, ça arrive. Un album sur deux est moins bon mais Bénabar est quelqu’un que j’écoute depuis longtemps, depuis son premier album, La p’tite monnaie.

Hexagone : Un an après la sortie de ton album Belle ville, quel bilan peux-tu dresser ? Il s’est bien vendu je crois ?
Alexis HK :
En terme de ventes, c’est pas mal oui. On avoisine les 20 000 exemplaires, ce qui est plutôt bien surtout en période de crise du disque comme c’est le cas actuellement. Ca fait 3 fois qu’il est réédité, c’est très bon signe.

Hexagone : Entre temps, tu as signé chez Labels. Ca a changé des choses pour toi ?
Alexis HK :
L’avantage avec Labels, c’est que c’est un gros distributeur et que s’il bosse sur un projet, il va y avoir des disques partout dans les magasins. Et c’est ce qu’on attend d’un distributeur. Avec Labels, on a signé un contrat de licence avec eux et leur boulot est là, c’est de faire de la promotion, de la distribution. Donc, c’est un accélérateur, un relais. Ce sont des gens intelligents qui ne font pas de différences entre les musiques mais qui ont un catalogue qui tape assez large, qui est vraiment de qualité.

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Photo Flavie Girbal

Hexagone : Le deuxième album, tu y penses déjà ?
Alexis HK :
J’aimerais bien qu’il sorte l’année prochaine, en septembre prochain. Pour la rentrée 2004. J’y travaille. J’essaie d’avoir un maximum de chansons pour pouvoir éliminer les moins bonnes et en même temps faire attention de ne pas tomber dans un système de productivité à outrance. Une bonne chanson, ça ne s’écrit pas comme ça, il faut vraiment que ça mûrisse bien, ça demande du recul.

Hexagone : Tu souhaites reconduire la même formule musicale que Belle ville ou bien vas-tu explorer d’autres horizons comme l’électro par exemple ?
Alexis HK :
Il y a deux choses. Il y a l’outil électronique puis la musique électronique. L’outil, c’est à dire ce dont on peut se servir pour aller dans le sens d’une idée, c’est une chose à laquelle on ne peut pas se fermer aujourd’hui parce que c’est extraordinaire ce qu’on peut faire techniquement. Mais je pense qu’il faut que ce soit justifié et il faut faire des choix esthétiques réels. C’est à dire quand l’outil devient la musique elle-même, ce n’est pas pareil que dire « on peut utiliser l’électronique pour soulever la musique, pour la relever un petit peu ». Il y a donc la question de savoir ce qu’on va utiliser comme ingrédients de base et ce qu’on va utiliser comme condiments. Pour ma part, la musique électronique restera en condiments. Par contre, en ce qui concerne la couleur des sons, la façons dont doivent sonner les rythmiques, c’est sûr que ce sera différent de Belle ville. Ça va sonner à mon avis beaucoup plus large et beaucoup plus affirmé parce qu’on aura un peu plus de moyens pour le faire, ce sera moins avec des bouts de ficelles. Ce ne sont pas non plus les gros moyens qui suffisent et remplacent les idées originales mais ça permet d’obtenir une chaleur de son que l’on n’a pas pu obtenir sur Belle ville.

Hexagone  : Tu as des exemples de disques récents réussis à tes yeux ? De ce dont vers quoi tu aimerais tendre ?
Alexis HK :
En termes d’arrangements simples, j’ai beaucoup aimé le dernier album de Salvador. On était volontairement revenu vers quelque chose de rétro mais avec la qualité des chansons et la renommée du bonhomme on pouvait commencer à entendre à la radio des chansons avec juste des petites guitares acoustiques derrière, avec des petits cuivres très discrets, des choses qui ne sont pas là pour racoler mais pour te faire respirer. Ça, c’est un bon exemple d’album sorti en 2001 et qui sonnait moderne avec des recettes à l’ancienne finalement. J’avais beaucoup aimé aussi l’album de Franck Monnet, Les embellies. Il y a juste une basse, une guitare et des percussions. C’est ultra-léger, il n’y a pas un poil de reverb, c’est très minimaliste. L’album n’a pas marché mais pour moi c’est un des plus beaux albums que j’ai entendus par son grain.

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